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LA REVUE DE PARIS

coupe avait été écartée de leurs lèvres à la suite d’une démonstration brutale de sa part. Cela avait été, comme il le disait, sa première explosion avec ses patrons, sa première tentative réussie, bien qu’elle eût seulement pour résultat de faire apercevoir l’impossibilité de sa situation. La veille ostensible d’un voyage coûteux lui sembla un moment favorable pour engager une protestation sérieuse et poser un ultimatum. Quelque ridicule que cela parût, il n’avait pas encore pu se ménager une entrevue tranquille avec les parents, soit ensemble, soit séparément. Ils étaient toujours flanqués des aînés de leurs enfants et le pauvre Pemberton avait généralement son petit élève avec lui. Il se rendait compte que c’était un intérieur où l’on risquait de ternir sa délicatesse. Pourtant il avait préservé la fraîcheur de ses scrupules et avait résisté au désir d’annoncer en public à M. et Mrs Moreen qu’il ne pouvait continuer plus longtemps ses services sans recevoir un peu d’argent. Il était assez simple pour s’imaginer qu’Ulick, Paula et Amy ne savaient pas que depuis son arrivée il n’avait touché que cent quarante francs et il était assez magnanime pour ne pas vouloir compromettre leurs parents à leurs yeux. M. Moreen l’écouta alors comme il écoutait tout le monde et toutes choses, en homme du monde, et semblait le prier — mais bien entendu sans insistance grossière — de s’efforcer d’être de son côté un peu plus homme du monde. Pemberton reconnaissait l’importance de cette attitude par l’avantage qu’en retirait M. Moreen. Il n’était ni confus ni embarrassé tandis que le précepteur l’était beaucoup plus que l’occasion ne le comportait. Il ne manifesta non plus aucune surprise. Son attitude était celle d’un gentleman qui s’avoue franchement un peu choqué, mais se garde néanmoins de rien reprendre aux expressions de son interlocuteur.

— Il nous faut voir à cela, n’est-ce pas, ma chère ? — dit-il à sa femme.

Il assura son jeune ami qu’il y emploierait toute son attention. Puis il parut se dissoudre dans l’espace comme si, une fois à la porte il se voyait à son grand regret obligé de prendre le pas sur les autres. Ensuite, lorsque Pemberton se trouva seul avec Mrs Moreen, ce fut pour entendre cette dernière lui dire :