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seule assertion qui permît d’obtenir des résultats. Morgan offrait toutes les caractéristiques de quelqu’un dont la vie n’a pas été simplifiée par le collège. Sa sensibilité d’enfant élevé chez lui aurait pu lui être nuisible, mais elle était charmante pour les autres. Il possédait tout un clavier de raffinements et de perceptions d’une exquise délicatesse d’où émanaient de petites vibrations musicales aussi prenantes que des airs aimés et ramassés au hasard de ses courses à travers l’Europe à la suite de sa tribu nomade. Ce n’est peut-être pas une éducation à recommander, mais son résultat sur un sujet aussi particulier avait la valeur d’une marque d’origine sur de la porcelaine fine. Il y avait en même temps en lui une nuance de stoïcisme (due sans doute à ce qu’il lui avait fallu de bonne heure supporter la souffrance) qui lui tenait lieu d’audace. Cela diminuait l’importance du fait qu’il aurait pu être pris au collège pour une petite brute polyglotte. Bientôt Pemberton fut heureux de penser que toute idée de l’y envoyer était écartée. Le collège eût donné de bons résultats dans le cas de quatre-vingt-dix-neuf enfants sur cent, mais Morgan eût été ce récalcitrant centième. Il se serait comparé aux autres et serait devenu méprisant ; il aurait eu besoin de quelques bons coups de pied. Pemberton essaierait de remplacer le collège. À lui seul, il tiendrait plus de place dans la vie de l’enfant que les cinq petits ânes qu’il aurait eus comme camarades. L’enfant n’ayant pas de prix à remporter garderait son ingénuité, sa spontanéité, sa drôlerie surtout, car, bien que sa nature enfantine eût déjà vécu avec intensité, il y avait encore en elle assez de fraîcheur pour alimenter sa gaieté. Il advint même que dans l’atmosphère paisible où s’étaient développées les inaptitudes variées de Morgan, son goût pour les plaisanteries se donnait librement carrière. C’était un petit cosmopolite pâle et maigre, subtil, peu développé, qui aimait la gymnastique intellectuelle et avait observé sur les façons d’être des hommes plus de choses qu’on eût pu le supposer. Malgré cela, il avait conservé pour son amusement personnel des superstitions à lui qu’il cassait chaque jour à la douzaine comme des jouets.