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l’élève

quelqu’un pour lui procurer un plaisir ; mais, en même temps, on trouvait chez eux un désir tout à fait curieux de le rendre indépendant de sa famille, comme s’ils ne se fussent pas sentis assez bons pour lui. Ils le repassaient aux nouveaux membres de leur cercle avec un air de vouloir leur imposer une sorte d’adoption charitable et se libérer de leurs propres devoirs. Ils furent enchantés de voir Morgan s’attacher autant à son gentil compagnon et ne pouvaient rien imaginer qui fût plus à l’éloge du jeune homme. Il était surprenant de constater à quel point ils réussissaient à concilier leur adoration apparente de Morgan avec leur empressement à se laver les mains de toute responsabilité à son égard. Voulaient-ils se débarrasser de lui avant qu’il les perçât à jour ? Lui, Pemberton les perçait à jour de plus en plus. Cependant cette tendre famille lui tournait le dos avec une délicatesse exagérée, comme pour échapper au reproche d’intervenir dans ses rapports avec l’enfant. Dans la suite, voyant combien ils avaient peu de choses en commun avec ce dernier — ce fut par eux-mêmes qu’il le remarqua d’abord : ils le proclamaient avec une absolue humilité — Pemberton fut amené à méditer sur les mystères de la transmission de la personnalité et les sauts lointains de l’hérédité. C’eût été trop demander à un observateur que d’expliquer d’où venait chez Morgan ce détachement de la plupart des choses dont ses parents étaient comme des représentants vivants. Car ce détachement remontait certainement à deux ou trois générations.

Quant au jugement à porter sur lui, Pemberton fut assez longtemps avant de trouver le point de vue où se placer. Il y avait été assez mal préparé par le contact des jeunes et pimpants barbares auxquels il avait adapté les traditions du préceptorat, telles qu’il les avait jusque-là comprises. Morgan était décousu, déconcertant ; il manquait de beaucoup des caractères généralement attribués aux êtres de sa catégorie et abondait en qualités réservées aux gens extrêmement intelligents. Un jour son ami Pemberton fit un grand pas : il s’aperçut que Morgan était bien en effet extraordinairement intelligent. Le problème en était simplifié, mais cette formule restait un peu maigre, encore qu’elle constituât la