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Et sans que Mac Whirr eût tourné la tête, Jukes saisit encore :

— Faut s’attendre – quand on fatigue – à travers – un tel – laisser quelque chose – derrière soi – tombe sous le sens.

Jukes écoutait encore ; mais c’était tout. Tout ce que le capitaine Mac Whirr avait à dire. Et Jukes put se figurer, plutôt qu’il : ne le vit, le large dos buté du capitaine, là devant lui. Une impénétrable obscurité s’imposait, foulant les lueurs fantomales des flots. La morne conviction s’empara de l’esprit de Jukes qu’il n’y avait plus rien à faire :

Oui, si le gouvernail ne cédait pas, si le pont ne crevait pas sous le poids des immenses nappes d’eau, si tenaient bon les épontilles, si les machines ne flanchaient pas, si la vitesse pouvait être maintenue malgré l’opposition du vent terrible, si quelqu’une de ces monstrueuses lames n’ensevelissait pas le vaisseau tout entier, de ces lames dont la frange blanche seule apparaissait au-dessus des bossoirs, – et de l’entrevoir un instant le cœur défaillait –, alors, oui, peut-être, y avait-il chance de s’en tirer. Quelque chose se retourna dans le cœur de Jukes et il se dit que le Nan-Shan était perdu.

« Fichu », se répétait-il ; et ses pensées s’agitèrent comme s’il découvrait à ce mot une signification nouvelle. De toutes les éventualités susdites, pour sûr il en adviendrait une. Rien à présent ne pouvait être évité ; on ne pouvait remédier à rien. Les hommes de bord ne comptaient plus ; le navire ne pouvait plus lutter. Il faisait un temps par trop impossible.

Jukes sentit un bras encercler pesamment ses épaules. Il répondit pertinemment à cette avance en saisissant son capitaine par la taille. Tous deux se tinrent enlacés ainsi dans la nuit aveugle, se prêtant appui réciproque contre le vent, joue à joue, lèvre contre l’oreille, à la manière de deux pontons amarrés proue contre poupe.

Et Jukes perçut, à peine un peu plus distincte que tout à l’heure, la voix de son chef ; pourtant plus proche, semblait-il, et, comme ayant enfin traversé cet écartement forcené que mettait entre eux la tourmente, voix qui traînait encore un pacifiant halo autour d’elle.

— Savez-vous où sont les hommes ? disait la voix,