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Vous voyez ça, Jukes. Oh ! j’y ai bien réfléchi, allez ! tout l’après-midi.

Il leva de nouveau son regard obtus et terne. Jamais on ne l’avait entendu dire tant de paroles en une seule fois. Jukes, dans l’embrasure de la porte, restait les bras ouverts et pareil à un homme qu’on eût invité à assister à un miracle. Un étonnement sans bornes se lisait dans ses yeux, tandis que son attitude exprimait le doute.

— Un grain est un grain, monsieur Jukes, reprit le capitaine, et un navire en pleine puissance n’a qu’à y faire face. Le sale temps court ainsi de par le monde et la seule chose à faire est de l’affronter sans s’inquiéter de ce que le vieux capitaine Wilson de la Mélita appelle la « stratégie des tempêtes ». L’autre jour, à terre, je l’ai entendu haranguer sur ce sujet devant une bande de capitaines qui étaient venus s’asseoir à la table voisine de la mienne. Cela m’a semblé la plus grande des balivernes. Il leur racontait comment il avait déjoué – c’est, je crois, le mot dont il s’est servi – un terrible coup de vent, si bien qu’il s’en tint toujours distant de plus de cinquante milles. Il appelait ça un chef-d’œuvre de fine manœuvre. Comment sut-il qu’il y avait un terrible coup de vent à cinquante milles de lui, cela me renverse. J’avais l’impression d’écouter un insensé. J’aurais pensé pourtant que le capitaine Wilson était assez vieux pour s’y connaître.

Le capitaine Mac Whirr s’arrêta un moment, puis dit :

— C’est votre quart en bas, monsieur jukes ? Jukes reprit ses esprits en tressaillant :

— Oui, capitaine.

— Donnez ordre qu’on m’avertisse au moindre changement. (Il se souleva pour remettre le livre sur la planche et arrangea ses jambes sur la couchette.) Fermez la porte de façon qu’elle ne se rouvre pas, voulez-vous ? je ne peux pas supporter une porte. qui bat. Ils ont mis un tas de serrures de camelote sur ce bateau, il faut bien le dire.

Le capitaine Mac Whirr ferma les yeux.

Il les ferma pour se reposer. Il était fatigué et expérimentait cet état de vide mental qui survient à la suite d’une discussion poussée à fond, et dans laquelle on aurait sorti quelque conviction mûrie au cours de longues années de méditations. En