Page:Revue de Paris - 1918 - tome 2.djvu/40

Cette page n’a pas encore été corrigée

après un temps de stabilité relative, se lança dans une série de balancements renforcés, et Jukes fut d’abord trop occupé à maintenir son équilibre pour ouvrir la bouche.

Mais sitôt que ce violent roulis se fut un peu calmé, il reprit :

— C’est un petit peu trop d’une bonne chose. Quoi qu’il en soit, je trouve qu’on devrait mettre debout à la lame. Le vieux vient de rentrer se coucher. Qu’on me pende si je ne vais pas lui en parler.

Il ouvrit la porte de la chambre de veille. Non ! le capitaine Mac Whirr n’était pas couché ; il se tenait debout agrippé d’une main au rebord de la tablette ; de l’autre main il maintenait ouvert un gros volume dans lequel son regard plongeait. La lampe du plafond ballottait dans son cardan ; les livres desserrés se culbutaient sur la planchette ; le long baromètre décrivait des cercles saccadés ; la table à chaque instant modifiait sa pente. Au milieu de ce chahut, le capitaine Mac Whirr, toujours ferme, leva les yeux de dessus le livre et demanda :

— Qu’est-ce qu’on me veut ?

— Capitaine, la houle augmente.

— Ça se remarque ici, grommela Mac Whirr ; rien de fâcheux ?

Jukes, déconcerté par la gravité du regard qui le fixait par-dessus le livre, fit une grimace embarrassée.

— On roule comme de vieilles bottes, dit-il d’un air penaud.

— Oui ! gros temps – très gros temps. Que voulez-vous ?

À cette demande Jukes perdit pied et commença à patauger.

— C’est rapport à nos passagers, dit-il à la manière d’un homme qui s’accroche à un fétu de paille.

— Passagers ? s’exclama Mac Whirr. Quels passagers ?

— Mais les Chinois, capitaine, expliqua Jukes à qui cette conversation tournait sur le cœur.

— Les Chinois ! Pourquoi ne parlez-vous pas clairement ? Je n’arrive pas à comprendre ce que vous voulez dire. Jusqu’à ce jour, je n’avais pas entendu appeler « passagers » une bande de coolies. Passagers, vraiment ? Mais qu’est-ce qui vous prend ?