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et jusqu’à la consommation des siècles avant de vous trouver avec une pareille corvée sur les bras.


Après quoi, il se lançait dans une appréciation technique des dommages matériels subis par le navire, puis il continuait :


Mais ce n’est qu’après que le gros temps se fut calmé que notre tâche devint vraiment délicate. Il ne nous était d’aucun avantage, vous pensez bien, de naviguer depuis peu sous pavillon siamois ; encore que, le commandant n’ait jamais pu se persuader que cela fit une différence. « Tant que c’est nous qui sommes à bord », disait-il. Il y a des choses qui n’ont jamais pu lui entrer dans là tête. Autant tâcher de convaincre un baldaquin. Ajoutez à cela l’isolement du navire dans ces mers de Chine, un isolement infernal, sans consuls, sans aucune canonnière à soi nulle part, sans une âme à qui s’adresser en cas de difficulté.

Mon idée à moi était de maintenir tous ces magots à fond de cale une quinzaine d’heures de plus, c’est-à-dire jusqu’au temps que nous ayons pu gagner Fou-Tchéou. Là nous aurions vraisemblablement rencontré quelque navire de guerre, et une fois sous la protection des canons, sauvés ! car il va de soi que le commandant de n’importe quel vaisseau de guerre – Anglais, Français ou Hollandais – dans le cas d’une rixe à bord, se met du côté des blancs. Nous serions alors en posture de pouvoir nous débarrasser d’eux et de leur argent en remettant le tout entre les mains de leur Taotï ou de je ne sais quel mandarin à lunettes vertes comme on en voit circuler en chaise à porteurs dans les infectes ruelles de leurs cités.

Mais le vieux ne voulut rien savoir. Il désirait apaiser l’affaire. Il s’était fourré cette idée dans la tête et un treuil à vapeur n’aurait pu l’en arracher. Il désirait qu’on fit le moins de bruit possible autour de cela, et que ni le nom du bateau n’y fût compromis, ni les armateurs, « ni aucun des intéressés » comme il disait en enfonçant ses yeux dans les miens. Moi cela me rendait furieux. Comment pouvait-il espérer que cette affaire ne fit pas de bruit ? Ce qui était certain c’est que les malles des Chinois, au début de la traversée, avaient été fixées de manière à pouvoir affronter n’importe quelle tempête de ce monde ; mais ce qui s’était rué sur nous était quelque