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— Oui. Il m’a réglé mon compte à bord. Allez-vous-en déjeuner à terre, m’a-t-il dit.

— Vieux grigou ! commenta le grand individu d’un air vague.

Et, passant sa langue sur ses lèvres :

— Si on allait boire un coup.

— Il m’a frappé ! siffla le premier lieutenant rageusement.

— Non ? Frappé ! Pas vrai ? (L’homme en bleu se mit à s’agiter avec sympathie.) On ne peut vraiment pas causer ici. Je voudrais savoir tous les détails. Frappé ! Hein ? Cherchons quelqu’un pour porter ton coffre. Je connais un endroit bien tranquille où on peut avoir de la bière en bouteilles…

M. Jukes, qui scrutait le rivage à travers les jumelles du bord, informa plus tard le mécanicien en chef que « notre ancien lieutenant n’a pas mis longtemps à trouver un ami. Un type qui ressemble fort à un vadrouilleur ; je les ai vus quitter le quai ensemble ».

Le tintamarre des coups de marteau et des calfatages indispensables ne troublait point le capitaine Mac Whirr. Dans la chambre de veille enfin remise en ordre, il écrivait une lettre ; le steward qui faisait la pièce y découvrit ensuite des passages d’un intérêt si absorbant que, par deux fois, il faillit se laisser surprendre en flagrant délit d’indiscrétion. Mais cette même lettre, quand elle parvint à Mme Mac Whirr, dans le salon de sa maison de banlieue est de Londres, lui fit étouffer un bâillement. Pourquoi l’étouffait-elle ? Par respect pour elle-même sans doute, car il n’y avait personne d’autre dans la pièce.

Elle était à demi étendue sur un fauteuil pliant en bois doré, recouvert de peluche, auprès d’une cheminée carrelée où flambait un feu de charbon ; des éventails japonais en ornaient le dessus. Élevant les mains elle jeta un coup d’œil las sur les nombreuses pages. Était-ce sa faute, après tout, si les lettres de son mari étaient si plates, si désespérément fastidieuses – depuis le Ma très chère femme du début, jusqu’au Ton mari affectueux de la fin. On ne pouvait vraiment pas lui demander de s’intéresser à toutes ces affaires de marine, ni d’y comprendre quelque chose. Naturellement elle était contente de recevoir des nouvelles ; mais quant à préciser pourquoi…