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tambours, une note impétueuse et mauvaise, et le chant d’une foule en marche.

Jukes avait cessé de voir distinctement son capitaine. L’obscurité s’amoncelait littéralement autour d’eux. Tout au plus pouvait-il discerner des gestes, un mouvement de l’avant-bras relevé, une tête se rejetant en arrière.

Le capitaine Mac Whirr, un peu moins placidement que de coutume, s’efforçait de faire entrer dans sa boutonnière le bouton d’en haut de son ciré. L’ouragan qui met les flots en démence, qui fait sombrer les bateaux, et qui déracine les arbres, qui renverse les murailles et précipite l’oiseau de l’air contre le sol, l’ouragan avait rencontré sur sa route cet homme taciturne et son plus grand effort n’avait pu que lui arracher quelques mots. Avant que le courroux renouvelé des tempêtes ne se jetât de nouveau sur le navire, le capitaine Mac Whirr fut réduit à déclarer, d’un ton comme contrarié :

— Ça m’ennuierait qu’il se perdît.

Cette contrariété lui fut épargnée.


VI

Par un brillant jour ensoleillé le Nan-Shan fit son entrée à Fou-Tchéou. La brise favorable chassait par-devant lui sa fumée. Son arrivée fut immédiatement remarquée à terre, et les marins du port se disaient : « Regardez ! Mais regardez donc ce vapeur. Qu’est-ce que c’est ? Siamois, hein ? Non, mais regardez-le ! » Il semblait en effet avoir servi de cible aux secondes batteries d’un croiseur. Une grêle de petits obus n’aurait pu donner à ses œuvres mortes un aspect plus dévasté, plus défoncé, plus ruineux : il avait cet air las et épuisé des navires qui s’en reviennent du bout du monde ; – et non sans cause, car dans son court voyage il avait été très loin, jusqu’à entrevoir même les côtes de l’Au-delà, de ce grand inconnu d’où jamais navire ne revint pour rendre à la poussière du continent les marins de son équipage. Il était incrusté et gris de sel jusqu’à la pomme de ses mâts et jusqu’au sommet de sa cheminée, « comme si son équipage (dit un marin facétieux)