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dont on peut avoir besoin tout à coup, à bord d’un navire. Rappelez-vous. »

Et de son côté, naturellement, il prenait soin de remettre scrupuleusement les allumettes à leur place. Ainsi fit-il cette fois encore ; mais, avant de retirer sa main, l’idée lui vint que, peut-être, il n’aurait plus jamais l’occasion de se servir de cette boîte. La véhémence de cette idée l’arrêta dans son geste et pendant une infinitésimale fraction de seconde, il demeura les doigts refermés sur ce petit objet comme sur le symbole de toutes les menues habitudes qui nous enchaînent au cours fastidieux de la vie. Il la lâcha enfin, et se laissant tomber sur sa couchette, il attendit l’annonce du vent. Rien encore. Il n’entendait pas d’autre bruit que ceux de l’eau, les fortes éclaboussures, les chocs sourds des lames en désordre qui assaillaient son navire de toutes parts. Jamais le Nan-Shan n’aurait le répit nécessaire pour dégager ses ponts !

La quiétude de l’air était déconcertante ; il la sentait tendue et fragile comme un cheveu qui retiendrait une épée suspendue au-dessus de sa tête.

Durant cet armistice tragique la tempête pénétrait la résistance de l’homme et lui descellait les lèvres. La voix de Mac Whirr s’éleva dans la solitude et la nuit noire de sa cabine, comme s’adressant à un autre être qui se fût éveillé en lui-même.

— Ça m’ennuierait de le perdre, dit-il à mi-voix. Il était assis, loin des yeux, à l’écart de la mer, du navire même, isolé comme forclos du courant de sa propre existence, car des incongruités comme celle de se parler à soi-même n’y eussent sûrement pas trouvé place. Ses mains posaient à plat sur ses genoux ; il courbait la nuque et soufflait lourdement ; il s’abandonnait à une étrange sensation de lassitude, où un peu plus de clairvoyance lui eût permis de reconnaître la courbature de l’esprit. Il pouvait, sans se lever, atteindre la porte de sa toilette. Il devait y avoir là un essuie-main. « Oui. Le voici… » Il le prit ; il s’épongea la face, puis continua, frictionnant sa tête trempée. Il frottait et se bouchonnait dans le noir ; puis laissa retomber sa serviette sur ses genoux et demeura immobile. Un instant s’écoula dans un si profond silence que personne