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la forme trapue de son capitaine se retenant à une rambarde tordue, immobile et balancé comme s’il eût été cloué aux planches. La tranquillité inattendue de l’air oppressa Jukes :

— C’est fait, capitaine, dit-il haletant.

— Je pensais bien, répondit Mac Whirr.

« Vous pensiez bien, quoi ? » murmura Jukes à lui-même.

— Le vent est tombé tout d’un coup, continua le capitaine.

Jukes éclata :

— Si vous croyez que ça a été un boulot facile…

Mais son capitaine, tout cramponné à la rambarde, ne prêtait aucune attention.

— D’après les livres, le pire n’est pas encore passé.

— Si la plupart d’entre eux n’avaient pas été à moitié morts de mal de mer et de frayeur, aucun de nous n’en serait sorti vivant, de l’entrepont.

— Fallait faire quelque chose pour eux, marmotta Mac Whirr avec obstination.

Puis il reprit :

— On ne trouve pas tout dans les livres.

— Et même, je crois bien qu’ils se seraient jetés sur nous, si je n’avais pas fait sortir l’équipage illico, continua Jukes avec chaleur.

Tout à l’heure ils étaient forcés de hurler pour se faire entendre ; à présent, dans la quiétude étonnante de l’air, la moindre parole retentissait ; il leur semblait parler sous une sombre voûte pleine d’échos.

À travers une échancrure, au haut du dôme de nuages lacérés, la lueur de quelques étoiles tombait sur la mer obscure qui s’élevait et s’abaissait confusément. Parfois le sommet d’un cône d’eau s’écroulait à bord et se mêlait à l’agitation roulante de l’écume sur le pont submergé ; et des nuages bas fermaient circulairement la citerne au fond de laquelle le Nan-Shan barbotait. Ce cercle de vapeurs denses tournoyait d’une façon folle autour de son centre si calme, entourait le navire comme un mur ininterrompu d’un aspect inconcevablement sinistre. À l’intérieur du cercle, la mer agitée comme par une propulsion interne s’élevait en montagnes