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Ces mots éveillèrent un commencement de colère en Jukes. Rien à faire, vraiment !… Empli d’un violent mépris pour le chef, il repartit par où il était venu.

Dans la chaufferie, le petit homme joufflu de la machine auxiliaire jouait de la pelle, péniblement, aussi muet que si on lui eût coupé la langue. Le second, par contre, vociférait comme un fou furieux, que rien ne ferait taire, mais qui ne perdait rien de son habileté professionnelle.

— Vous voilà ! officier vagabond ! Hein ! Vous ne pourriez pas faire descendre un de vos empotés pour hisser les escarbilles ? Elles finissent par nous étouffer ici. Malédiction ! Dites donc ! Hein ! Vous vous rappelez le code : « Matelots et chauffeurs sont tenus de s’entraider. » Hein ! Vous entendez ?

Et tandis que Jukes remontait précipitamment, l’autre continuait encore, la face levée vers lui :

— Pourriez pas me répondre ? Qu’est-ce que vous venez fourrer votre nez par ici ? De quoi vous mêlez-vous ?

Jukes sentit qu’il ne se possédait plus. De retour dans la coursive sombre, il était prêt à tordre le cou à celui qui ferait le moindre signe d’hésitation. Rien que d’y penser, cela le rendait furieux. Lui ne pouvait reculer ; par conséquent, eux ne reculeraient pas.

Son impétuosité, lorsqu’il revint parmi eux, les entraîna. Ses allées et venues, la fureur et la rapidité de ses mouvements les avaient déjà excités et effrayés ; dans ses brusques irruptions parmi eux, plutôt pressenti que perçu, Jukes leur apparaissait formidable – préoccupé de questions de vie et de mort qui ne pouvaient supporter aucun délai. Au premier mot qu’il leur dit, il les entendit se laisser choir lourdement l’un après l’autre, dans la soute, dociles à son ordre.

— Qu’est-ce qu’il y a ? se demandaient-ils mutuellement.

Ils ne le savaient pas bien au juste. Le maître d’équipage essaya de leur expliquer. Le bruit d’une forte bagarre les surprit ; et les chocs puissants qui se répercutaient dans la soute obscure maintenaient en haleine leur sentiment du danger. Lorsque le maître d’équipage tout à coup ouvrit la porte, il leur sembla que l’ouragan, pénétrant à travers les flancs de fer du navire, faisait tourbillonner ces corps humains comme des grains de poussière ; une confuse rumeur leur parvint, un tumulte de tempête, dès