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— Encore une autre comme celle-ci, et tout est fichu, s’écria le chef.

Jukes et lui se regardèrent, et la même pensée leur vint à l’esprit. Le capitaine. Là-haut, tout devait avoir été emporté. Le servo-moteur balayé, le navire flottant comme un soliveau. C’était fini.

— Courez vite ! s’écria M. Rout d’une voix épaisse, regardant Jukes avec des yeux élargis et indécis.

Celui-ci ne lui répondit que par un regard irrésolu. La sonnerie du chadburn les calma instantanément. L’aiguille noire bondit de Stop à Toute.

— Allez maintenant ! Beale ! cria M. Rout.

La vapeur siffla légèrement. Les tiges des pistons reprirent leur va-et-vient. Jukes appliqua son oreille au tuyau acoustique. La voix l’attendait. Elle disait :

— Ramassez tout l’argent ; faites vite. Je vais avoir besoin de vous là-haut.

Et ce fut tout.

— Capitaine ! appela Jukes.

Il n’y eut pas de réponse.

Il s’éloigna en chancelant comme un blessé quitte le champ de bataille. Il s’était entaillé le front au-dessus du sourcil gauche, il ne savait quand, ni où – entaillé jusqu’à l’os. Il ne s’en apercevait même pas : une dose de mer de Chine suffisante à lui rompre le cou, en lui dégringolant sur la tête, avait bien et dûment lavé, nettoyé, salé sa blessure ; elle ne saignait pas, mais bâillait toute cramoisie ; avec cette balafre au-dessus de l’œil, ses cheveux ébouriffés, le désordre de ses vêtements, il avait l’air de s’être fait descendre à un match de boxe.

— Faut aller ramasser les dollars ! cria-t-il vers M. Rout, en souriant pitoyablement dans le vague.

— Vous dites ?.. dit M. Rout furieusement. Ramasser ?.. À d’autres !

Puis, frémissant de tous ses muscles, mais exagérant son ton paternel :

— Allez-vous-en, maintenant, pour l’amour de Dieu ! Vous autres officiers de pont vous finirez par me rendre idiot. Il y a le premier lieutenant là-haut qui s’est jeté sur le vieux. Vous ne le saviez pas ? Vous perdez la boule, vous autres, qui n’avez rien à faire…