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sous la cinquième côte. Une glène de filin à ses pieds, un morceau de toile sur les genoux, il poussait vigoureusement son carrelet, installé sur un tabouret bas qu’il s’était fait monter sur la passerelle. Il leva les yeux et la surprise donna à son regard une expression de candeur et d’innocence.

— Je ralingue quelques sacs de ce nouveau lot dont nous nous sommes servis pour le charbonnage, riposta-t-il sans aigreur. Nous en aurons besoin la prochaine fois que nous ferons du charbon, capitaine.

— Que sont donc devenus les anciens sacs ?

— Mais ils sont usés, capitaine.

Le capitaine Mac Whirr considéra son second d’un air d’abord irrésolu, puis finit par déclarer sa cynique et sombre conviction que plus de la moitié de ces sacs avait dû passer par-dessus bord.

— Si l’on pouvait seulement savoir la vérité ! disait-il.

Puis il se retira à l’autre extrémité de la passerelle.

Jukes, exaspéré par cette sortie immotivée, cassa son aiguille au second point, laissa tomber son travail et se leva, en grommelant des imprécations contre cette maudite chaleur.

L’hélice peinait ; les trois Chinois, à l’avant, avaient tout à coup cessé de se chamailler, et celui qui d’abord tressait sa natte à présent laissait son regard morne glisser par-dessus ses genoux qu’il étreignait.

Le soleil blafard jetait des ombres faibles et comme maladives. La houle s’accentuait, se précipitait incessamment et le navire piquait de lourdes embardées dans les creux profonds et mous de la mer. Jukes chancela :

— Je voudrais savoir d’où vient cette fichue houle, dit-il tout haut en retrouvant son équilibre.

— Nord-est, grogna le positif Mac Whirr, du bord de la passerelle où il se trouvait, il doit faire là-bas quelque sale temps peu ordinaire. Allez regarder le baromètre.

Quand Jukes sortit de la chambre de veille, l’expression de son visage était soucieuse. Il se cramponna aux rambardes de la passerelle et regarda le large fixement.

Dans la chambre des machines la température s’était élevée