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— Parce que je suppose que ça serait interprété comme un signal de détresse ; qu’en pensez-vous ? Moi, j’imagine que l’éléphant représente quelque chose comme le Union Jack dans le pavillon…

— Ah ! vous croyez ! glapit Jukes, d’une telle voix que toutes les têtes sur le pont du Nan-Shan se retournèrent.

Alors il poussa un soupir, puis soudain résigné :

— Pour sûr que ça ferait un sacré signal de détresse, conclut-il débonnairement.

Plus tard, le même jour, il accosta le chef mécanicien avec un confidentiel :

— Écoutez, que je vous raconte la dernière du vieux.

M. Salomon Rout (que l’on nommait communément Sal le. Long ou le vieux Sal, ou Père Rout) se trouvait presque invariablement l’homme le plus grand à bord de tous les navires sur lesquels il servait ; d’où l’habitude qu’il avait prise de se pencher avec condescendance et flegme vers ses interlocuteurs. Ses cheveux étaient rares et couleur de sable, ses joues plates étaient décolorées, ainsi que ses poignets osseux et ses longues mains d’homme d’étude, comme s’il eût vécu dans l’ombre toute sa vie.

Il sourit de son haut à Jukes sans arrêter de fumer et de regarder placidement autour de lui à la manière d’un bon oncle qui prêterait une oreille complaisante au récit d’un écolier surexcité. Au demeurant fort amusé, mais sans le laisser voir, il demanda :

— Et lui avez-vous collé votre démission ?

— Non, cria Jukes, élevant une voix lasse et découragée au-dessous du grincement discordant des treuils à frictions.

Ceux-ci se démenaient furieusement, activant les longs mâts de charge au bout desquels pendaient les élingues raidies par d’énormes ballots qu’ils laissaient choir négligemment à extrémité de course. Les chaînes de charge gémissaient dans les chapes des poulies, tintaient contre les hiloires, cliquetaient sur les bords du navire, et le Nan-Shan tout entier frémissait, enveloppant de vapeur ses flancs gris.

— Non, cria Jukes. À quoi bon ? Autant fiche ma démission à cette cloison. Un homme comme