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AU PAYS DES PIERRES

— Il n’est jamais trop tard pour regagner la bonne voie ! — s’écria-t-il. — Si ces créatures se fourvoient parmi vous, il vous faut les chasser, de même que le Seigneur les repoussera de son trône, jusqu’en bas, dans l’enfer !…

Un mouvement se produisit dans l’église. Jella aussi leva les yeux. Son dos frissonna en entendant nommer ce lieu inconnu, horrible, où les hommes s’envoyaient les uns les autres, lorsqu’ils se fâchaient. — Dehors, dans la montagne, jamais elle ne pensait à l’enfer que, dans la maison de Dieu, on lui rappelait sans cesse. Elle ne voulait plus écouter, mais on aurait dit que le poing de monsieur le curé la menaçait de nouveau. Et Slatka se retourna dans son banc, avec un visage où se peignait une joie méchante.

« Qu’est-ce qu’elle regarde, celle-ci » ? pensa la fille, tandis qu’elle jetait elle-même un regard circulaire. « Que regardent aussi les autres ? » Et alors… elle aussi fixa sa mère. Elle était assise, toute ratatinée, près de Jella. Ses pauvres mains, abîmées par le travail, arrangeaient en frémissant les bords recroquevillés et sales du livre de prières. La fille vit soudain sa mère vieillie, lamentablement vieillie, et ce qu’elle ignorait jusque-là devint clair à ses yeux : elle l’aimait tellement que sa poitrine lui faisait mal.

Slatka et la gouvernante de monsieur le curé s’entre-regardèrent et clignèrent des yeux vers la mère de Jella, qui devenait à chaque seconde plus pâle. Son front était déjà aussi blême que les cierges sur l’autel. Son menton tremblait. Dans un mouvement involontaire, convulsif, elle mit sa main devant ses paupières.

La voix du curé siffla, éraillée, jusqu’au fond de l’église.

— Les mauvaises femmes gâtent les braves gens, déshonorent les familles ; certes ! elles ont beau jeu ! Elles chantent joliment, elles s’attifent bien !

Jella se cramponna, effrayée, à la jupe de sa mère, comme autrefois, toute petite, lorsqu’on la maltraitait. Alors, comme si quelque chose se déclenchait en elle, elle se souvint d’une autre jupe plus ornée que sa mère portait longtemps auparavant, d’un corset ambré, de perles de verres sonnantes, de