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puis les colifichets, bagues, colliers, boîtes à broder, boîtes pour fabriquer des fleurs artificielles. Il y avait de quoi se parer et s’amuser toute la vie. Enfin, un beau service à thé en doublé pour Marie et une pipe en écume, une pipe invraisemblable, une pipe d’amiral, pour Jean. Aucune des petites Kérouall ne dormit de toute la nuit.

Les vendanges se faisaient de bonne heures cette année-là. Sur les routes passaient de lourdes charrettes attelées de chevaux et de bœufs, et chargées de comportes où le raisin s’empilait, se pressait, coulait en gouttes épaisses. La nature entière s’attendrissait et l’odeur de vin fermenté, répandue partout, grisait le pays.

Cette année aussi, le comice agricole se devait réunir à Port-Saint-Pierre. Depuis plusieurs jours l’activité était grande sur la place. On y élevait un hangar où auraient lieu l’exposition et le banquet. Jean Kérouall dirigeait les travaux. Tout autour régnaient des gradins où se placeraient les produits viticoles et agricoles envoyés au concours. On y verrait des pieds de vigne entiers, et l’on pourrait apprécier l’heureux résultat de la greffe française sur racine américaine. Et les cultures diverses, les fruits, les céréales, auraient leur part d’attention, d’honneurs et de récompenses.

Festin, discours, fanfares, orphéons, de l’héroïsme, du civisme, du patriotisme, sur fond d’andrinople et de velours de coton, — le tout pour trois francs cinquante.

Mais l’attrait « distingué », et qui intéressait la jeunesse, c’était le bal qui aurait lieu le même soir, à Château-Gorsac : M. le comte de Leuze invitait le pays à venir danser chez lui.

Député de la sixième circonscription de la Gironde, âgé pour lors d’environ trente-six ans, le comte de Leuze était un joli garçon, qui avait surtout le goût des femmes. Député, il l’était, comme il était propriétaire de Château-Gorsac, par héritage et par la grâce de Dieu. C’est une grâce inexplicable, et par cela même auguste.

Le feu comte, père du comte actuel, avait été un politique par inclination, par besoin d’agitation, et aussi par le sentiment grave, ingénu et profond, qu’il devait ses talents à son pays. D’ailleurs il avait plus de zèle que de lucidité, plus de lucidité que de finesse, plus de finesse que de sagesse, mais il réussit