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Ce fut à l’automne de 1886 que l’on se prépara chez les Kérouall à recevoir la tante Félicité. On ne s’était pas vu depuis longtemps, depuis la mort des parents Coste, mais on avait gardé des rapports affectueux, et l’on s’écrivait deux fois par an.

Félicité avait prospéré. Dans la grande maison de modes où elle était entrée, elle occupait une place prépondérante. Et l’humble maisonnée attendait avec quelque émoi l’arrivée de la belle dame de Paris.

On renonçait à la prendre à demeure, n’ayant pas pour elle de chambre convenable, mais, à deux pas, chez l’épicier, se trouvait une pièce meublée si richement, avec bandes de tapisserie brodées à la main, glaces aux cadres superbes, vases dorés, que messieurs les conseillers généraux et députés en tournée s’y logeaient, la préférant à l’Hôtel du Commerce. Il avait même été question d’y faire coucher Monseigneur quand il était venu pour la confirmation, mais le presbytère déclara qu’il s’en trouverait mortellement offensé.

Félicité occuperait donc cette belle chambre ; quant aux repas, elle les prendrait chez les Kérouall.

Elle arriva un soir de septembre. Toute la famille attendait, pour la recevoir, au ponton du bateau à vapeur. Lorsqu’elle apparut, souriante, jeune, très élégante dans sa robe bien faite, c’est à peine si sa sœur l’osa reconnaître. Elle se montrait toute chargée de sacs et de petits paniers, — des friandises sans doute, — et deux hommes de peine la suivaient, portant ses « chapelières », comme on dit là-bas. Le luxe de ce bagage causa quelque surprise. On s’embrassa : — Marie, Jean, et puis les petites, en commençant par la dernière… Mais quand elle en vint à Louise, la tante la regarda, et, de surprise, lui prit le visage entre ses deux mains pour la mieux voir.

— Et pourtant, — dit-elle, comme se parlant à elle-même, — je ne m’étonne pas facilement !

Ce fut une immense allégresse pour les petites Kérouall, après la distribution des bonbons fins et autres sucreries, de voir déballer les chapelières de tante Félicité. Que de cadeaux, que d’émerveillements ! D’abord les jolis vêtements, robes, chapeaux, et une toque pour Louise. Une toque de Paris ! Jamais on n’en avait vu, même aux dames des châteaux. Et