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venir vous dire un mot, vous n’avez pas daigné me remarquer, et vous avez continué à rire et à plaisanter avec un tas d’idiots, dont l’unique vœu était de pouvoir se vanter ensuite, et d’avoir l’air de vous connaître lorsqu’on citerait votre nom…

Il s’arrêta, essoufflé par cette diatribe, et fixant sur elle un regard où le ressentiment était l’ingrédient qui lui déplaisait le moins. Mais elle avait recouvré sa présence d’esprit, et se tenait posément au milieu de la pièce, tandis que son léger sourire semblait mettre une distance toujours plus considérable entre elle et Trenor.

À travers cette distance, elle dit :

— Ne soyez pas absurde, Gus ! Il est onze heures passées : il faut vraiment que je vous prie de faire appeler une voiture.

Il demeura immobile, avec ce front menaçant qu’elle avait appris à haïr.

— Et supposons que je n’en fasse pas appeler… qu’est-ce que vous ferez ?

— Je monterai là-haut trouver Judy, si vous me forcez à la déranger.

Trenor se rapprocha d’un pas et mit la main sur le bras de la jeune fille :

— Écoutez, Lily. Vous ne voulez pas, de vous-même, me donner ces cinq minutes ?

— Pas ce soir, Gus : vous…

— Très bien, alors : je les prendrai. Et plus encore, si je veux.

Il se carrait sur le seuil, ses mains bien enfoncées dans ses poches. D’un signe de tête, il lui indiqua le fauteuil voisin du feu :

— Asseyez-vous là, s’il vous plaît : j’ai un mot à vous dire.

Le caractère vif de Lily commençait à l’emporter sur ses craintes. Elle se redressa et se dirigea vers la porte :

— Si vous avez quelque chose à me dire, il faudra que vous me le disiez une autre fois. Je monte chez Judy, à moins que vous ne m’appeliez une voiture à l’instant.

Il éclata de rire :

— Montez, ma chère, montez ; mais vous ne trouverez pas Judy. Elle n’est pas là.

Lily lui jeta un regard effaré :