Ce même soir, dans sa chambre, miss Bart, qui avait fui de bonne heure les lourdes vapeurs de la salle à manger située au sous-sol, était assise, rêvant à l’impulsion qui l’avait portée à s’épancher ainsi dans le sein de Rosedale. Par-dessous, elle découvrit un sentiment toujours pire d’abandon, la terreur de revenir à la solitude de sa chambre, tant qu’elle pouvait être quelque part ailleurs, en quelque autre compagnie que la sienne propre. Les circonstances dernièrement s’étaient combinées pour la tenir de plus en plus à l’écart du peu d’amis qui lui restaient. De la part de Carry Fisher, l’éloignement n’était peut-être pas tout à fait involontaire. Ayant fait son effort final en faveur de Lily et l’ayant mise en sûreté dans l’atelier de madame Regina, Mrs. Fisher se sentait encline à se reposer de ses travaux, et Lily, comprenant ses raisons, ne pouvait la condamner. Carry s’était trouvée, en fait, bien près d’être impliquée dans l’épisode de Mrs. Norma Hatch, et il lui avait fallu quelque habileté verbale pour s’en tirer. Elle reconnaissait franchement avoir mis en rapport Mrs. Hatch et Lily, mais alors elle ne connaissait pas Mrs. Hatch, — elle en avait formellement averti Lily, — et, au surplus, elle n’était pas la gardienne de Lily, et vraiment celle-ci était d’âge à se garder elle-même. Carry n’exposait pas son cas si brutalement, mais elle permettait qu’il fût ainsi exposé pour elle par sa plus récente amie intime, Mrs. Jack Stepney : — Mrs. Stepney tremblait en songeant au péril auquel son frère unique avait échappé, mais elle brûlait de justifier Mrs. Fisher, chez qui elle pouvait compter sur les joyeuses réunions qui lui étaient devenues une nécessité depuis que, libérée par le mariage, elle avait quitté le point de vue des Van Osburgh.
Lily comprenait la situation, elle était indulgente. Carry avait été pour elle une bonne amie en des jours difficiles, et peut-être n’y avait-il qu’une affection comme celle de Gerty pour résister à la pression toujours croissante. L’affection de Gerty tenait ferme, et cependant Lily commençait aussi à l’éviter. Car elle ne pouvait aller chez Gerty sans courir le risque d’y rencontrer Selden ; et le rencontrer maintenant, ce ne serait plus qu’une souffrance. Il était même assez pénible de penser à lui, soit qu’elle se le figurât distinctement, tout éveillée, soit qu’elle sentît l’obsession de sa présence à travers