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Lily se leva de son siège, avec un rire de modestie :

— Oh ! non… ce n’est que très ennuyeux ! — dit-elle en renouant les bouts de son boa en plumes.

Rosedale restait assis, trop absorbé par ses propres pensées pour prendre garde au mouvement de la jeune fille :

— Miss Lily, si vous avez besoin de quelque soutien… J’aime le courage, — dit-il d’une voix entrecoupée.

— Merci. (Elle lui tendit la main.) Votre thé me soutient déjà le mieux du monde… Me voilà, grâce à lui, à la hauteur des événements.

Son geste semblait donner congé à Rosedale, mais son compagnon avait jeté un billet de banque au garçon et glissait ses bras courts dans son pardessus coûteux.

— Attendez une minute… je vais vous accompagner jusque chez vous, — dit-il.

Lily ne fit aucune protestation, et, lorsqu’il se fut assuré qu’on lui avait rendu exactement sa monnaie, ils sortirent de l’hôtel et traversèrent de nouveau la Sixième Avenue. Comme elle s’en allait vers l’ouest en passant devant une longue série de cours, qui laissaient voir, avec une franchise croissante, par les barreaux tordus de leurs grilles dépeintes, des restes de repas plus ou moins récents, Lily sentit que Rosedale notait dédaigneusement le voisinage, et, devant la porte où elle s’arrêta enfin, il leva les yeux avec un air de dégoût incrédule :

— Ce n’est pas ici ?… Quelqu’un m’avait dit que vous demeuriez chez miss Farish.

— Non : j’ai pris pension ici. J’ai vécu trop longtemps aux dépens de mes amis.

Il continuait d’examiner la façade noirâtre et pustuleuse, les fenêtres aux rideaux de misérable dentelle, et la décoration pompéienne du vestibule boueux. Alors il la regarda de nouveau et dit avec un visible effort :

— Vous me permettrez de venir vous voir, un de ces jours ?

Elle sourit, reconnaissant l’héroïsme de l’offre au point d’en être vraiment touchée.

— Merci, vous me ferez grand plaisir.

Et c’était la première parole sincère qu’elle lui eût jamais adressée…