gens ne disent que j’aidais Mrs. Hatch à épouser Bertie Van Osburgh… lequel n’est nullement trop bon pour elle… et, comme on continue tout de même à le dire, je vois que j’aurais tout aussi bien pu rester où j’étais.
— Oh ! Bertie (Rosedale balaya le sujet d’un geste qui en marquait le peu d’importance et qui montrait en même temps quelles immenses perspectives s’ouvraient maintenant devant lui), Bertie ne compte pas… Mais je savais bien que vous n’étiez pas mêlée à cette affaire. Ce n’est pas votre genre.
Lily rougit légèrement : elle ne pouvait se dissimuler que ces paroles lui faisaient plaisir. Elle aurait voulu rester là, boire encore du thé, continuer à parler d’elle-même à Rosedale. Mais la vieille habitude d’observer les conventions lui rappela qu’il était temps de mettre fin à leur colloque : elle esquissa le mouvement de repousser sa chaise.
Rosedale l’arrêta en protestant du geste :
— Attendez une minute, ne partez pas si vite ; asseyez-vous tranquillement et reposez-vous encore un peu. Vous paraissez à bout de forces. Et vous ne m’avez pas dit…
Il s’interrompit, conscient d’aller plus loin qu’il ne voulait. Elle vit la lutte et la comprit ; elle comprit aussi à quel charme il cédait, les yeux attachés à son visage, quand il reprit tout à coup :
— Que vouliez-vous dire, tout à l’heure, en prétendant que vous appreniez le métier de modiste ?
— La vérité, tout simplement. Je suis apprentie chez Regina.
— Seigneur !… vous ?… Mais pourquoi ? Je savais que votre tante vous avait déshéritée : Mrs. Fisher me l’a dit. Mais j’avais compris que vous aviez un legs…
— Oui, dix mille dollars… mais ce legs ne sera payé que l’été prochain.
— Eh bien, mais… écoutez ; vous auriez pu emprunter dessus, si vous aviez voulu.
Elle secoua gravement la tête :
— Non, car je dois déjà toute la somme.
— Vous les devez ?… les dix mille dollars ?
— Jusqu’au dernier sou.
Elle s’arrêta et reprit brusquement, les yeux fixés sur le visage de Rosedale :