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Rosedale étouffa un sifflement de surprise :

— Allons ! vous ne parlez pas sérieusement, n’est-ce pas ?

— Très sérieusement. Je suis obligée de travailler pour vivre.

— Mais j’avais compris… je croyais que vous étiez chez Norma Hatch.

— Vous aviez entendu dire que j’étais entrée chez elle comme secrétaire ?

— Quelque chose comme cela, il me semble.

Et il se pencha pour lui verser une seconde tasse.

Lily devina les possibilités d’embarras que le sujet présentait pour lui, et, levant les yeux sur son interlocuteur, elle dit brusquement :

— Je l’ai quittée, il y a environ deux mois.

Rosedale continua de manier gauchement la théière, et elle fut certaine qu’il avait entendu ce qu’on avait dit d’elle. Mais aussi qu’est-ce que Rosedale n’entendait pas ?

— N’était-ce pas une situation très douce ? — demanda-t-il sur un ton léger.

— Trop douce… on aurait pu s’enfoncer trop profondément.

Lily avait un bras posé sur le bord de la table ; elle considérait Rosedale avec plus d’intérêt qu’elle ne l’avait jamais fait. Une invincible impulsion la pressait d’exposer son cas à cet homme de la curiosité duquel elle s’était toujours si furieusement défendue.

— Vous connaissez Mrs. Hatch, je crois ? Eh bien, vous comprendrez, sans doute, qu’elle pouvait me faciliter un peu trop les choses.

Rosedale parut vaguement intrigué : elle se souvint que les allusions étaient perdues pour lui.

— Ce n’était pas votre place, d’aucune façon ! — avoua-t-il, sous la pleine lumière de ses yeux.

Il en était inondé, noyé, entraîné tout à coup en d’étranges profondeurs d’intimité. Lui qui avait dû se contenter de viser au vol des regards fugitifs, bientôt perdus sous le couvert, il sentait maintenant les prunelles de Lily fixées sur lui avec une intensité rêveuse qui l’éblouissait réellement.

— Je suis partie, — continua-t-elle, — de peur que les