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vous ? Eh bien, où est le mal ? Il n’avait qu’à ne pas perdre… Il n’a pas perdu ? Alors, que diable !… Mais, Lily, je n’ai jamais pu vous comprendre !

Le résultat de tout cela fut qu’après d’anxieuses recherches et de longues délibérations, Mrs. Fisher et Gerty, pour une fois bizarrement unies par le désir d’aider leur amie, décidèrent de la placer dans l’atelier de madame Regina, la célèbre modiste. Même cet arrangement n’alla pas sans de laborieuses négociations : car madame Regina avait un robuste préjugé contre les employées qui n’avaient pas fait d’apprentissage ; elle ne céda que parce qu’elle devait le patronage de Mrs. Bry et de Mrs. Gormer à l’influence de Carry Fisher. Elle avait toujours été disposée à employer Lily dans le salon d’exposition : une beauté à la mode pouvait être un précieux appoint pour mettre des chapeaux en valeur. Mais à cette suggestion miss Bart opposa une fin de non-recevoir qui fut énergiquement appuyée par Gerty ; d’autre part, Mrs. Fisher, qui tout au fond n’était pas convaincue, mais se résignait à cette dernière preuve de la déraison de Lily, reconnut que, somme toute, il serait peut-être préférable qu’elle apprit le métier. Ce fut donc à l’atelier de Regina que Lily fut confiée par ses amies, et Mrs. Fisher l’y laissa avec un soupir de soulagement ; cependant la vigilante Gerty continuait d’avoir l’œil sur elle, à distance.

Lily était entrée là au début de janvier ; on était en mars et elle était encore « attrapée » pour sa maladresse à coudre des paillettes sur une forme de chapeau. Comme elle retournait à son travail, elle entendit ricaner le long des tables.

Elle se savait un objet de critique et d’amusement pour les autres ouvrières. Elles étaient, naturellement, au courant de son histoire : — l’exacte situation de chacune était connue et discutée librement par toutes les autres, — mais cela ne produisait chez elles aucun sentiment gênant de la hiérarchie sociale ; cela expliquait tout simplement pourquoi ses doigts ignorants tâtonnaient encore sur les rudiments du métier. Lily ne prétendait pas qu’elles reconnussent en elle aucune distinction, mais elle avait espéré être traitée en égale et se montrer avant longtemps leur supérieure par quelque tour de main spécial, et il était humiliant de constater qu’après deux