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le cinglement de l’arrêt rendu par la « première », commençait à dépouiller la forme des paillettes qui la recouvraient.

Gerty Farish, toujours optimiste, avait cru trouver une solution en se rappelant quel talent avait Lily pour garnir des chapeaux. Des exemples de jeunes femmes, — d’« amateurs », — s’établissant modistes sous un patronage élégant et conférant à leurs « créations » cette touche indéfinissable qu’une main professionnelle n’arrive jamais à donner, avaient rendu à Gerty sa confiance dans l’avenir, et convaincu même Lily que sa rupture avec Mrs. Norma Hatch ne la réduirait pas nécessairement à dépendre de ses amis.

Cette séparation était survenue quelques semaines après la visite de Selden, et se serait produite plus tôt, n’eût été la résistance éveillée en Lily par son malencontreux avis. Le sentiment d’être mêlée à une opération qu’elle n’eût pas aimé à examiner de trop près s’était précisé bientôt grâce à une indication de M. Stancy : si elle comprenait « ce que parler veut dire », elle n’aurait pas à s’en repentir, assurait-il. Cette allusion à une récompense directe avait hâté sa fuite, et l’avait rabattue, honteuse et contrite, dans les bras pitoyables et grands ouverts de Gerty. Elle ne se proposait pas, toutefois, de s’y reposer lâchement, et l’idée de Gerty, touchant les chapeaux, avait aussitôt ravivé ses espoirs d’activité lucrative. Voilà donc quelque chose enfin que ses jolies mains nonchalantes pouvaient réellement faire : elle n’avait aucun doute sur leur habileté à nouer un ruban ou à disposer une fleur de façon avantageuse. Et, naturellement, on ne lui demanderait que ces dernières touches-là : des doigts subalternes, grossiers, gris, piqués d’aiguilles, prépareraient les formes et coudraient les coiffes, tandis qu’elle présiderait le charmant petit magasin, — un magasin tout en panneaux blancs, miroirs et tentures vert mousse, — où ses créations achevées, chapeaux, guirlandes, aigrettes et le reste, seraient perchées sur leurs supports comme des oiseaux prêts à s’envoler.

Mais, dès le début de la campagne de Gerty, cette vision du magasin vert et blanc s’évanouit. D’autres jeunes dames à la mode s’étaient ainsi établies, vendant leurs chapeaux rien que par l’attraction d’un nom et leur chic réputé pour faire