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— Mais en quelle qualité ? Que dois-je faire de vous ? — demanda-t-elle sur le même ton léger.

Selden jeta encore un coup d’œil circulaire sur le salon de Mrs. Hatch ; puis il dit avec une fermeté qui semblait inspirée par cette inspection finale :

— Il faut me laisser vous emmener d’ici.

Lily rougit devant la soudaineté de l’attaque ; puis elle se raidit et repartit avec froideur :

— Et puis-je vous demander où vous avez l’intention de me conduire ?

— Chez Gerty, tout d’abord, si vous le voulez bien ; l’essentiel, c’est que vous ne demeuriez pas ici.

L’âpreté inaccoutumée de sa voix aurait pu montrer à Lily combien ces mots lui coûtaient ; mais elle n’était pas en état de mesurer ses sentiments, à lui, au moment où les siens étaient en pleine révolte. La négliger, l’éviter même, peut-être, dans le temps où elle avait le plus besoin de ses amis, puis brusquement et sans excuse s’introduire dans sa vie par cette étrange usurpation d’autorité, c’était éveiller en elle tous ses instincts d’orgueil et de défense.

— Je vous suis très obligée — dit-elle — de prendre tant d’intérêt à mes projets ; mais je suis parfaitement satisfaite où je me trouve, et je n’ai pas la moindre intention de m’en aller.

Selden s’était levé et se tenait devant elle dans une attitude d’irrésistible attente :

— Cela prouve tout simplement que vous ne savez pas où vous vous trouvez ! — s’écria-t-il.

Lily se leva, elle aussi, avec un éclair de colère :

— Si vous êtes venu ici pour me dire des choses désagréables sur Mrs. Hatch…

— C’est seulement de vos relations avec Mrs. Hatch que je m’occupe…

— Mes relations avec Mrs. Hatch sont de celles dont je n’ai pas à rougir. Elle m’a aidé à gagner ma vie alors que mes vieux amis étaient parfaitement résignés à me voir mourir de faim.

— Allons donc ! vous savez bien qu’il ne s’agit pas de mourir de faim. Vous savez que vous avez toujours un refuge auprès de Gerty, jusqu’à ce que vous ayez recouvré votre indépendance.