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trop pourvu d’appareils mécaniques pour la satisfaction de besoins fantastiques, tandis que les aises d’une vie civilisée y étaient aussi impossibles à obtenir que dans le désert. À travers cette atmosphère de splendeur torride se mouvaient des êtres pâles aussi richement tapissés que les meubles, des êtres sans occupations définies et sans relations permanentes, portés par un faible courant de curiosité du restaurant à la salle de concert, du jardin d’hiver au salon de musique, d’une exposition artistique à une inauguration de couturière. Des chevaux qui piaffaient où des automobiles à carrosserie merveilleuse attendaient pour transporter ces dames à quelque lointain divertissement, d’où elles revenaient, encore plus pâles sous le poids de leurs zibelines, pour être de nouveau absorbées par l’étouffante inertie et la routine de l’hôtel. Quelque part derrière elles, à l’arrière-plan de leur vie, il y avait sans doute un passé réel, peuplé de réelles activités humaines ; elles étaient probablement elles-mêmes le produit d’ambitions fortes, d’énergies persévérantes, de contacts variés avec la salutaire rudesse de la vie ; et pourtant elles n’avaient pas plus d’existence réelle que les ombres du poète dans les limbes.

Lily ne demeura pas longtemps dans ce monde blafard sans découvrir que Mrs. Hatch en était la figure la plus substantielle. Cette dame, quoique flottant encore dans le vide, annonçait par quelques légers symptômes l’ébauche d’une silhouette ; elle était activement secondée dans cet effort par M. Melville Stancy. C’était M. Stancy, — un homme dont la présence n’allait pas sans retentissement, qui donnait à lui seul une idée de festins, et dont la galanterie se manifestait par des loges aux « premières » et des bonbonnières de mille dollars, — c’était M. Stancy qui avait arraché Mrs. Hatch à la scène de ses débuts pour la transplanter sur une estrade plus élevée, l’acclimater à la vie d’hôtel dans la métropole. C’était lui qui avait choisi les chevaux avec lesquels elle avait remporté le ruban bleu au Concours hippique, lui qui l’avait présentée au photographe qui ornait périodiquement de ses portraits les « Suppléments du Dimanche », lui enfin qui avait formé le groupe qui constituait son monde social. C’était encore un petit groupe, composé de figures hétérogènes suspendues au milieu de larges espaces non peuplés ; mais Lily ne fut pas longue à s’apercevoir