les turbulentes circonvolutions des meubles. Le sentiment de se trouver encore une fois enveloppée et bercée dans le bien-être, comme dans un milieu dense et doux, impénétrable à tout désagrément, faisait taire en effet jusqu’à la plus légère velléité de critique.
Lorsque, l’après-midi précédente, elle s’était présentée à la dame à laquelle Carry Fisher l’avait adressée, elle avait eu conscience d’entrer dans un monde nouveau. D’après le vague signalement que Carry lui avait donné de Mrs. Norma Hatch (le retour de cette dame à son nom de baptême était le résultat de son dernier divorce), on soupçonnait qu’elle venait « de l’Ouest », avec cette circonstance atténuante, et qui n’était pas rare, d’avoir apporté beaucoup d’argent. Bref, elle était riche, isolée, en l’air : juste le sujet qui convenait à Lily. Mrs. Fisher n’avait pas spécifié la ligne de conduite que son amie devait adopter : elle avouait qu’elle ne connaissait pas personnellement Mrs. Hatch ; elle avait entendu parler d’elle par Melville Stancy, homme de loi à ses moments perdus, le Falstaff d’une certaine section de la vie de fêtes et de club. Socialement, M. Stancy pouvait être considéré comme le chaînon qui reliait le monde des Gormer à la région médiocrement éclairée où pénétrait maintenant miss Bart. Ce n’était toutefois qu’au figuré que l’éclairage de ce monde-ci pouvait être qualifié de médiocre : en réalité, Lily trouva Mrs. Hatch assise dans un flamboiement de lumière électrique, impartialement projetée de diverses excroissances ornementales sur une vaste concavité de damas rose et de dorure, d’où elle se dressa comme Vénus de sa coquille. Cette analogie était justifiée par l’apparence même de la dame, dont les larges et jolis yeux avaient la fixité d’un objet clos et mis sous verre. Cela n’empêcha pas sa visiteuse de découvrir aussitôt que Mrs. Hatch était de quelques années plus jeune qu’elle, et que, sous ses dehors voyants, malgré son aplomb et tout ce que sa toilette et sa voix avaient d’agressif, persistait cette innocence indéracinable qui, chez les femmes de son pays, coexiste si curieusement avec la plus renversante expérience.
Le milieu où elle se trouvait était aussi étranger à Lily que ses habitants. Elle ne connaissait pas, à New-York, le monde des hôtels à la mode, — un monde surchauffé, trop tapissé,