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Elle défit ses fourrures et s’installa dans le fauteuil de Gerty, tandis que celle-ci s’occupait du thé.

— Mais que peuvent-elles faire, les Silverton ? Comment ont-elles l’intention de gagner leur vie ? — demanda-t-elle, sans méconnaître l’irritation qui persistait dans sa voix.

C’était là le dernier sujet qu’elle eût songé à discuter, — cela ne l’intéressait pas le moins du monde, — mais une curiosité soudaine et perverse s’était emparée d’elle : elle voulait savoir comment les deux incolores et tremblantes victimes des expériences sentimentales du jeune Silverton comptaient tenir tête à la cruelle nécessité qui rôdait si près de son propre seuil.

— Je ne sais pas… Je tâche de leur trouver quelque chose. Miss Jane lit très gentiment à haute voix… mais il est si difficile de découvrir une personne qui veuille bien qu’on lui lise !… Et miss Annie peint un peu…

— Oui, je vois cela… des fleurs de pommier sur du papier buvard… Tout juste le genre de choses que je serai bientôt amenée à faire moi-même ! — s’écria Lily, en se dressant avec une véhémence qui menaçait de détruire la fragile table à thé de miss Farish.

Lily se pencha pour assurer les tasses ; puis elle se renfonça dans son fauteuil.

— J’avais oublié qu’il n’y a pas de place pour se démener… Comme il faut se bien tenir dans un petit appartement !… Oh ! Gerty, je n’étais pas faite pour la bonté ! — soupira-t-elle, sans aucun souci de la cohérence.

Gerty leva un regard craintif sur la figure pâle de son amie, où les yeux luisaient avec l’étrange éclat de l’insomnie.

— Vous semblez affreusement fatiguée, Lily : prenez votre thé et laissez-moi vous donner ce coussin pour vous appuyer.

Miss Bart accepta la tasse de thé, mais repoussa le coussin d’une main impatiente.

— Ne me donnez pas cela ! Je ne veux pas m’appuyer : je m’endormirais, si je le faisais.

— Eh bien, pourquoi pas, chérie ? je resterai aussi tranquille qu’une souris, — insista Gerty affectueusement.

— Non, non, ne restez pas tranquille ; parlez-moi… tenez-moi éveillée !… Je ne dors pas la nuit, et, dans la journée, je suis envahie par une terrible torpeur.