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— Ma chère miss Lily, je regrette qu’il y ait eu un léger malentendu entre nous… mais vous m’avez fait comprendre que ma demande avait si peu de chances d’être agréée jamais que je n’avais réellement pas l’intention de la renouveler.

Lily tressaillit de toute sa personne devant la grossièreté de la rebuffade ; mais elle arrêta son premier élan de colère, et dit sur un ton de gracieuse dignité :

— Je ne dois m’en prendre qu’à moi-même, si je vous ai donné l’impression que ma décision était définitive.

Le jeu de la jeune fille, en cette escrime verbale, était toujours trop rapide pour Rosedale. Cette riposte le cloua dans un silence embarrassé, tandis qu’elle lui tendait la main et ajoutait, avec une légère inflexion de tristesse :

— Avant que nous nous disions adieu, je veux tout au moins vous remercier d’avoir un jour songé à moi comme vous y avez songé.

Le contact de sa main, la douceur émouvante de son regard touchèrent chez Rosedale une fibre vulnérable : c’était sa manière exquise d’être inaccessible, le sentiment de distance qu’elle pouvait communiquer, sans même un soupçon de dédain, — c’était cela surtout qui rendait si malaisé de se détacher d’elle.

— Pourquoi parlez-vous de se dire adieu ?… Ne pouvons-nous rester bons amis tout de même ? — insista-t-il, sans lâcher sa main.

Elle la retira tranquillement.

— Qu’entendez-vous par être bons amis ? — répliqua-t-elle avec un léger sourire ; — me faire la cour sans me demander en mariage ?

Rosedale se mit à rire : il avait retrouvé son aplomb.

— Eh bien, oui, c’est à peu près cela… Je ne peux pas m’empêcher de vous faire la cour : je ne vois pas comment n’importe qui pourrait s’en empêcher… Mais je ne compte pas vous demander en mariage, tant que je pourrai m’en dispenser.

Elle sourit encore :

— J’aime votre franchise ; mais j’ai peur que notre amitié ne puisse aller bien loin.

Elle se détourna, comme pour marquer qu’en fait cette