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Et pourtant, ce n’est pas pour autre chose qu’elle m’avait là, ce n’est pas pour autre chose qu’elle m’a signé un fort beau chèque à la fin de la saison !

Mrs. Fisher n’était pas femme à parler d’elle-même sans raison, et l’usage de la parole directe, loin de proscrire chez elle le recours intermittent à des méthodes détournées, lui rendait plutôt, dans des moments délicats, le même service qu’à l’escamoteur son bavardage pendant qu’il change le contenu de ses manches. À travers la fumée de sa cigarette, elle ne cessait pas d’observer miss Bart avec attention : celle-ci avait renvoyé sa femme de chambre et se tenait devant sa table de toilette, secouant sur ses épaules les ondulations de ses cheveux défaits.

— Vos cheveux sont merveilleux, Lily… « trop peu épais », dites-vous ?… Qu’est-ce que cela fait ? Ils sont si légers et si vivants !… Chez tant de femmes, les soucis se trahissent tout de suite par les cheveux !… mais il semble que sous les vôtres n’ait jamais logé la moindre pensée d’inquiétude… Je ne vous ai jamais vue plus à votre avantage que ce soir… Mattie Gormer m’a dit que Morpeth voulait faire votre portrait : pourquoi n’y consentez-vous pas ?

La réponse immédiate de miss Bart fut de jeter un regard critique sur le reflet de son visage, dans le miroir. Puis elle dit, avec une légère pointe d’irritation :

— Je ne me soucie pas d’accepter un portrait de Paul Morpeth.

Mrs. Fisher réfléchit :

— N… non… Et surtout maintenant… Eh bien, il pourra vous peindre quand vous serez mariée.

Elle attendit un moment. Puis :

— À propos, j’ai eu la visite de Mattie, l’autre jour… Oui, elle est venue ici, dimanche dernier… et devinez avec qui… je vous le donne en mille… avec Bertha Dorset !

Elle s’arrêta de nouveau, pour mesurer l’effet de cette nouvelle sur son auditrice ; mais la brosse, dans la main de miss Bart, continua son mouvement rectiligne, du front à la nuque.

— Je n’ai jamais été plus étonnée ! poursuivit Mrs. Fisher. Je ne connais pas deux femmes moins prédestinées à l’intimité… si je me place au point de vue de Bertha, veux-je dire…