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héréditaire, tandis que le clan des Gormer en était à son premier essai pour se formuler à lui-même son credo.

C’était la première fois depuis son retour d’Europe que Lily se trouvait dans une atmosphère sympathique, et le réveil des associations d’idées coutumières l’avait presque préparée, comme elle descendait l’escalier avant dîner, à tomber sur un groupe de vieilles connaissances. Mais ce vague espoir fut aussitôt réduit à néant par la réflexion que les amis qui lui demeuraient fidèles étaient justement ceux qui se soucieraient le moins de l’exposer à de pareilles rencontres ; et elle fut à peine surprise de découvrir dans le salon, au lieu de ce qu’elle avait pressenti, M. Rosedale familièrement agenouillé, près du foyer, devant la petite fille de la maison.

Le spectacle d’un Rosedale paternel n’était guère fait pour adoucir Lily ; pourtant elle ne put s’empêcher de remarquer une certaine bonté familiale dans les avances qu’il faisait à l’enfant. Ce n’était pas, en tout cas, les caresses préméditées que prodigue l’invité, par acquit de conscience, sous l’œil de son hôtesse, car lui et la petite fille étaient seuls ; et quelque chose dans son attitude, à lui, le faisait paraître simple et bienveillant auprès de la petite créature déjà critique qui endurait ses hommages. Oui, il serait bon, — Lily, sur le seuil, eut le temps de le sentir, — bon à sa manière, lourde, sans scrupule, rapace, — la manière de la bête de proie avec sa compagne. — Elle n’eut qu’un instant pour se demander si ce coup d’œil jeté sur l’homme de foyer tempérait sa répugnance ou lui donnait plutôt une forme plus concrète et plus intime : car, à sa vue, il fut immédiatement sur pied, et redevint le Rosedale fleuri et important du salon de Mattie Gormer.

Lily ne s’étonna pas de constater qu’il était seul invité à partager avec elle l’hospitalité de Carry Fisher. Bien qu’elles ne se fussent pas rencontrées depuis que celle-ci l’avait sondée tout en discutant son avenir, Lily savait que cette finesse par laquelle Mrs. Fisher se frayait un chemin sûr et agréable à travers un monde de forces antagonistes, elle l’exerçait quelquefois au bénéfice de ses amis. C’était, par le fait, un trait du caractère de Carry que, si elle glanait activement sa provende sur les terres de l’abondance, ses sympathies réelles se trouvaient de l’autre côté, — avec ceux qui n’avaient ni chance,