lui qu’un sujet : lui-même et son infortune ; et c’était le besoin de sympathie qui l’avait ramené. Mais il prétendit d’abord l’interroger sur elle-même, et, en lui répondant, elle vit que, pour la première fois, un faible sentiment de sa condition, à elle, pénétrait la dense surface de ses préoccupations personnelles. Était-il possible que sa vieille brute de tante l’eût réellement déshéritée ? Quoi ! elle vivait ainsi, seule, parce qu’elle n’avait personne chez qui aller ? Quoi ! il lui restait juste assez pour vivre jusqu’au paiement de ce malheureux petit legs !… Les fibres de la sympathie étaient presque atrophiées chez lui, mais il souffrait avec tant d’intensité qu’il se faisait une idée vague de ce que les autres pouvaient souffrir, et — elle s’en aperçut — il comprit, à peu près en même temps, comment les infortunes de Lily pouvaient le servir.
Lorsque enfin elle le renvoya, sous prétexte de s’habiller pour dîner, il s’attarda sur le seuil, d’un air suppliant, pour lâcher ces mots :
— Cela m’a fait tant de bien !… dites que vous me permettez de revenir…
Mais, à cet appel direct, il lui était impossible de répondre par un acquiescement. Elle répondit, d’un ton amical, mais décisif :
— Je regrette… mais vous savez pourquoi je ne peux pas le faire.
Il rougit jusqu’aux yeux, referma la porte, et demeura debout devant elle, embarrassé, mais encore insistant :
— Je sais comment vous le pourriez, si vous le vouliez… si la situation était différente… et il est en votre pouvoir de faire qu’elle le soit… Vous n’avez qu’un mot à dire, et vous me tirez de ma misère !
Leurs yeux se rencontrèrent, et, une seconde, elle trembla de nouveau devant la tentation si proche.
— Vous vous trompez ; je ne sais rien ; je n’ai rien vu ! — s’écria-t-elle, cherchant, à force de répétitions, à élever une barrière entre elle-même et ce péril.
Lui s’en allait en gémissant :
— Vous nous sacrifiez tous les deux.
Elle continua de répéter, comme si c’était une formule magique :
— Je ne sais rien… absolument rien.