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de mon châtiment… Mon Dieu ! que pouvais-je faire ?… n’étais-je pas impuissant ?… Vous aviez été choisie comme victime : tout ce que j’aurais pu dire aurait été retourné contre vous…

— Je vous ai dit que je ne vous blâmais pas ; tout ce que je vous prie de comprendre, c’est qu’après la manière dont il a plu à Bertha de me traiter, après tout ce que sa conduite, depuis lors, a impliqué… il est impossible que vous et moi nous nous rencontrions.

Il restait debout devant elle, dans sa faiblesse obstinée.

— Impossible ?… vraiment ?… Ne pourrait-il y avoir des circonstances ?…

Il s’arrêta, fouettant d’un geste plus large les herbes du chemin.

Puis il reprit :

— Miss Bart, écoutez-moi… donnez-moi une minute… Si nous ne devons plus nous revoir, du moins prêtez moi un dernier moment d’attention… Vous dites que nous ne pouvons plus être amis après… ce qui s’est passé… Mais ne puis-je du moins faire appel à votre pitié ? Ne puis-je vous émouvoir en vous priant de me considérer comme un prisonnier… un prisonnier que vous seule pouvez délivrer ?

Le tressaillement intérieur de Lily se traduisit par une vive rougeur : était-il possible que ce fût réellement le sens des indications de Carry Fisher ?

— Je ne vois pas comment ni en quoi je pourrais vous aider, — murmura-t-elle, reculant un peu devant l’excitation toujours plus vive de son regard.

La voix de Lily sembla le calmer comme elle l’avait déjà fait si souvent dans ses heures les plus orageuses. Les lignes rigides de sa figure se détendirent, et il dit, avec un brusque retour à la docilité :

— Vous le verriez, si vous étiez aussi miséricordieuse qu’autrefois ; et Dieu sait que je n’en ai jamais eu plus besoin !

Elle hésita, un instant, émue malgré elle par ce rappel de l’influence qu’elle exerçait sur lui. Ses fibres avaient été attendries par la souffrance, et le coup d’œil soudain jeté sur cette vie ridicule et brisée désarma son mépris pour la faiblesse de Dorset.