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tence bruyante et vide. Elle était lasse de se sentir entraînée au fil d’un courant de plaisirs et d’affaires où elle n’avait aucune part ; lasse de voir les autres rechercher les amusements et gaspiller l’argent, tandis qu’elle ne comptait pas plus parmi eux qu’un joujou de prix aux mains d’un enfant gâté.

Ce fut dans cet état d’esprit que, revenant de la plage un matin, par les méandres d’un sentier inconnu, elle se trouva brusquement face à face avec George Dorset. La maison des Dorset était toute voisine de la propriété que les Gormer avait récemment acquise, et, filant en automobile avec Mrs. Gormer, Lily avait entrevu le couple, une ou deux fois ; mais ils se mouvaient dans un cercle si différent qu’elle n’avait pas songé à la possibilité d’une rencontre directe.

Dorset, qui marchait en balançant le corps, la tête penchée, dans une abstraction rêveuse, n’aperçut miss Bart que lorsqu’il fut tout près d’elle ; mais, à sa vue, au lieu de faire halte, comme elle s’y attendait un peu, il vint à elle avec une vivacité qui s’exprima dès les premières paroles :

— Miss Bart !… Vous voulez bien me donner la main ?… J’ai toujours espérer vous rencontrer… Je vous aurais écrit, si j’avais osé.

Avec ses cheveux roux ébouriffés et sa moustache irrégulière, il avait un regard d’homme mal à l’aise et traqué, comme si la vie était devenue une course incessante entre ses pensées et lui.

Ce regard arracha à Lily un mot de compatissante bienvenue, et il reprit, comme encouragé par le ton de la jeune fille :

— Je voulais m’excuser, vous demander de me pardonner le rôle misérable que j’ai joué…

Elle l’arrêta d’un geste rapide :

— Ne parlons pas de cela, je vous en prie : j’ai été désolée pour vous, — dit-elle avec une nuance de dédain qui, elle s’en aperçut aussitôt, ne lui échappa nullement.

Il rougit jusqu’à ses yeux hagards, rougit si cruellement qu’elle se repentit de l’attaque.

— Vous pouviez l’être, en effet… Vous ne savez pas… laissez-moi vous expliquer… J’ai été induit en erreur, abominablement…