avait pas de conventions embarrassantes pour arrêter la pleine expression de son approbation. Mais c’était dans la qualité de son admiration qu’elle discernait sa subtile estimation du cas qu’elle présentait. Il se plaisait à laisser voir aux Gormer qu’il avait connu « miss Lily » — elle était maintenant « miss Lily » pour lui — avant qu’ils eussent la moindre existence mondaine ; il se plaisait plus particulièrement à faire sentir à Paul Morpeth la distance à laquelle remontait leur intimité. Mais ce n’était là qu’un épisode, il le donnait à entendre, une ride à la surface d’un puissant et rapide courant mondain, l’espèce de détente qu’un homme accaparé par de vastes intérêts et des préoccupations multiples se permet dans ses heures de loisir.
La nécessité d’accepter cette vue de leurs relations passées, et d’y répondre sur ce ton de plaisanterie qui était d’usage parmi ses nouveaux amis, humiliait profondément Lily. Mais moins que jamais elle n’osait se disputer avec Rosedale. Elle soupçonnait que son refus comptait parmi les plus inoubliables des camouflets qu’il eût essuyés, et le fait qu’il savait quelque chose de sa malheureuse transaction avec Trenor, et que sûrement il l’interprétait de la façon la plus basse, semblait la mettre irrémédiablement à sa merci. Pourtant la suggestion de Carry Fisher avait fait vibrer en elle une nouvelle espérance. Quelle que fût son antipathie pour Rosedale, Lily ne le méprisait plus absolument. Car il atteignait peu à peu son objet dans la vie, et, aux yeux de Lily, cela était moins méprisable que de le manquer.
Avec la persévérance lente et inaltérable qu’elle avait toujours sentie en lui, il se frayait un chemin à travers la masse dense des antagonismes mondains. Déjà sa fortune, et l’usage magistral qu’il en faisait, lui donnaient une enviable prédominance dans le monde des affaires, et créaient à Wall Street des obligations que seule la Cinquième Avenue pouvait acquitter. En vertu de ces titres, son nom commençait à figurer dans des comités municipaux et dans des œuvres de charité ; il paraissait dans les banquets offerts à des étrangers de distinction, et sa candidature à un des clubs élégants était discutée avec une opposition faiblissante. On l’avait vu, une ou deux fois, à des dîners chez les Trenor, et il avait appris à parler