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l’indolence mondaine était aussi grande que l’activité artistique, avait beau s’abandonner au courant facile de l’existence des Gormer, où les petites exigences de la politesse étaient inconnues ou ignorées, et où un homme pouvait oublier une invitation ou s’y rendre en veston d’atelier et en pantoufles, il conservait néanmoins son sentiment des différences, et il était sensible à des grâces qu’il n’avait pas le temps de cultiver. Durant les répétitions des tableaux vivants chez les Bry, il avait été très vivement frappé par les facultés plastiques de Lily : — « Pas la figure : trop maîtresse d’elle-même pour être expressive ; mais le reste !… Dieu, quel modèle elle ferait ! » — et, quoique son horreur du monde dans lequel il l’avait vue fût trop profonde pour qu’il songeât à l’y aller chercher, il appréciait vivement le privilège de l’avoir là, pour la regarder et l’écouter, tandis qu’il flânait dans le salon en désordre de Mattie Gormer.

Lily avait ainsi formé, dans le brouhaha de son entourage, un petit noyau de relations amicales qui sauvait un peu pour elle ce qu’il y avait de trop cynique à demeurer avec les Gormer après leur retour. Elle n’était pas non plus sans de pâles reflets de son propre monde, surtout depuis que la fin de la saison de Newport avait dirigé une fois de plus le courant mondain vers Long-Island. Kate Corby, qui était, par goût, aussi large dans le choix de ses relations que Carry Fisher par nécessité, venait rendre visite de temps en temps aux Gormer, où, après un moment de surprise, elle en vint à considérer presque trop la présence de Lily comme naturelle. Mrs. Fisher, elle aussi, faisait de fréquentes apparitions dans le voisinage, et venait communiquer le résultat de ses expériences et apporter à Lily ce qu’elle appelait le dernier bulletin du bureau météorologique ; et celle-ci, qui n’avait pourtant jamais provoqué ses confidences, pouvait néanmoins causer avec elle plus librement qu’avec Gerty Farish, en présence de laquelle il était impossible d’admettre même l’existence de beaucoup de choses que Mrs. Fisher tenait facilement pour accordées.

Aussi bien Mrs. Fisher n’avait pas de curiosité gênante. Elle ne désirait pas pénétrer trop avant dans la situation de Lily, mais tout simplement l’examiner du dehors, et tirer ses