Mais, même si miss Bart, après avoir repris goût aux agréments de la vie, avait pu retourner à l’aridité de New-York, en août, sans autre adoucissement que la présence de la pauvre Gerty, son expérience mondaine lui eût déconseillé cet acte d’abnégation. Elle savait que Carry Fisher avait raison, qu’une absence opportune serait peut-être le premier pas vers la réhabilitation, et qu’en tout cas s’attarder en ville hors de saison était un fatal aveu de défaite.
De ce voyage tumultueux des Gormer à travers le continent natal elle revint avec une vue modifiée de la situation. L’habitude reprise du luxe — le réveil quotidien avec l’absence de soucis garantie et la présence des aises matérielles — tout cela émoussa graduellement son estime de ces biens-là, et ne la laissa que plus consciente du vide qu’ils ne pouvaient remplir. Le bon naturel sans discernement de Mattie Gormer, et la sociabilité de hasard de ses amis, qui traitaient Lily absolument comme ils se traitaient entre eux, — tous ces indices caractéristiques d’une différence foncière commençaient à user son endurance ; et, plus elle voyait à critiquer dans ses compagnons, moins elle se sentait justifiée de les mettre à profit. Le désir intense de retrouver son ancien milieu devint une idée fixe ; mais ce propos de plus en plus ferme était accompagné de l’inévitable idée que, pour réussir, elle devait imposer de nouvelles concessions à son orgueil. Ces concessions, pour le moment, avaient l’inconvénient de l’obliger à se raccrocher à ses hôtes après leur retour de l’Alaska. Si peu qu’elle fût dans le ton de leur milieu, son incomparable souplesse mondaine, sa longue habitude de s’adapter à autrui sans permettre que sa propre ligne en fût altérée, son habile maniement de tous les instruments polis de son métier, lui avaient conquis une place importante dans la coterie des Gormer. Si leur bruyante hilarité ne pouvait jamais être la sienne, elle donnait une note d’élégance aisée qui avait plus de valeur pour Mattie Gormer que les passages plus tapageurs de l’orchestre. Sam Gormer et ses camarades les plus intimes avaient à vrai dire un peu peur d’elle ; mais la cour de Mattie, et Paul Morpeth en tête, faisaient sentir à Lily qu’ils prisaient en elle les qualités mêmes qui leur manquaient le plus visiblement. Morpeth, dont