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et Gerty se trouvèrent presque seules dans le salon pourpre qui, plus que jamais, dans son étouffante obscurité, ressemblait à un caveau de famille bien entretenu, où l’on venait de déposer avec décence le dernier corps.


Dans le petit salon de Gerty, où un hansom avait conduit les deux amies, Lily tomba sur une chaise avec un léger rire : cela la frappait comme une coïncidence piquante que le legs de sa tante représentât presque exactement le montant de ce qu’elle devait à Trenor. La nécessité de payer cette dette s’était de nouveau déclarée avec une urgence croissante depuis son retour en Amérique, et ce fut sa première pensée qu’elle exprima en disant à Gerty, qui ne pouvait tenir en place :

— Je me demande quand les legs seront payés.

Mais miss Farish pensait bien aux legs ! Elle éclata avec une plus ample indignation :

— Oh ! Lily c’est injuste, c’est cruel… Grace Stepney doit sentir qu’elle n’a aucun droit à tout cet argent !

— Quiconque savait plaire à tante Julia a droit à son argent, — répondit philosophiquement miss Bart.

— Mais elle vous était attachée… elle donnait à croire à tout le monde…

Gerty s’arrêta, évidemment embarrassée, et miss Bart se tourna vers elle et la regarda bien en face :

— Gerty, soyez franche : ce testament a été fait, il n’y a pas plus de six semaines ; elle avait su ma rupture avec les Dorset.

— Tout le monde a su, naturellement, qu’il y avait eu quelque désaccord, quelque malentendu…

— A-t-elle su que Bertha m’avait chassée du yacht ?

— Lily !

— C’est ce qui est arrivé, vous savez. Elle a dit que je cherchais à épouser George Dorset. Elle l’a fait pour lui persuader qu’elle était jalouse… N’est-ce pas ce qu’elle a raconté à Gwen Stepney ?

— Je ne sais pas… Je n’écoute pas de pareilles horreurs.

— Mais moi, il faut que je les écoute, il faut que je sache où j’en suis.

Elle s’arrêta, et, de nouveau, il y eut une nuance de dérision dans sa voix :