Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/597

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dédain de l’héritière pour l’insignifiance des intérêts en jeu. Le vieux Ned Van Alstyne, siégeant auprès d’elle, dans une jaquette qui rendait l’affliction fringante, tortillait sa moustache blanche pour dissimuler le pincement impatient de ses lèvres ; et Grace Stepney, le nez rouge et fleurant le crêpe, murmurait sentimentalement à Mrs. Herbert Melson :

— Je ne pourrais pas voir ailleurs ce paysage de Niagara !…

Un froufrou d’étoffes et des têtes qui se tournèrent rapidement saluèrent l’ouverture de la porte, et Lily Bart apparut, grande et noble dans sa robe noire, avec Gerty Farish à son côté. Les visages des femmes, comme elle s’arrêtait d’un air interrogatif sur le seuil, furent toute une étude d’hésitation. Une ou deux firent mine de la reconnaître, avec des mouvements que modérait ou la solennité de la scène ou le doute sur les intentions de leurs compagnes ; Mrs. Jack Stepney inclina la tête négligemment, et Grace Stepney, d’un geste sépulcral, indiqua un siège auprès du sien. Mais Lily, négligeant cette invite ainsi que la tentative officielle de Jack Stepney pour l’orienter, traversa la pièce de son allure libre et dégagée, et s’assit sur un fauteuil qui semblait avoir été mis tout exprès à part des autres.

C’était la première fois qu’elle se trouvait en face de sa famille depuis son retour d’Europe, qui datait de quinze jours ; mais, si elle perçut quelque incertitude dans cet accueil, cela ne fit qu’ajouter une nuance d’ironie à l’habituelle sérénité de son maintien. Le saisissement qu’elle avait éprouvé en apprenant, sur le quai, de la bouche de Gerty Farish, la mort subite de Mrs. Peniston avait été atténué presque aussitôt par l’irrépressible pensée que maintenant du moins elle pourrait payer ses dettes. Elle s’était représenté, non sans crainte, sa première rencontre avec sa tante. Mrs. Peniston s’était opposée avec véhémence au départ de sa nièce en compagnie des Dorset ; elle avait marqué la persistance de sa désapprobation en n’écrivant pas à Lily durant tout le voyage. La certitude qu’elle avait appris sa rupture avec les Dorset rendait la perspective de la rencontre plus formidable encore ; et comment Lily eût-elle retenu un vif sentiment de soulagement à l’idée que, au lieu d’avoir à subir l’épreuve attendue, il ne lui restait qu’à entrer gracieusement en possession d’un héritage depuis long-