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LA REVUE DE PARIS

Pendant que l’un de ces hommes, du haut des rostres devenus une tribune populaire, faisait l’appel des noms dévoués au salut public, les jetait à la foule qui les lui renvoyait par des acclamations ou les écartait par des murmures, le canon d’un fusil s’abaisse vers lui, on veut le couvrir : « Laissez, dit-il, il tire trop haut ! » — C’était l’un des incapables qui, pendant soixante heures, devaient se jeter en médiateurs entre l’émeute et le droit, et diriger le peuple dans la voie glorieuse de la clémence et du pardon. Cette parole était une promesse que, de leur côté, il n’y aurait ni faiblesse, ni lâcheté : elle fut tenue.

Le Gouvernement provisoire était créé, c’est-à-dire que sept hommes avaient reçu de quelques milliers de combattants le droit périlleux de devenir le tribunal improvisé auquel toutes les misères, toutes les vengeances allaient demander satisfaction ou justice : pouvoir inconnu de tous, étranger à la rue, qui, avant d’agir ou de succomber, devait s’imposer d’urgence à un million d’hommes soulevés. La première heure de ce gouvernement dans l’anarchie complète contint en germe tous les termes, toutes les faces, tous les dangers de ce problème qu’il fallait résoudre ; la résistance de quelques-uns, au nom du droit de tous, à l’ambition d’un grand nombre ; l’impuissance à solder en quelques heures la dette de cinquante années. Avec, pour rempart, le seul sentiment du juste qui d’instinct arrête les foules, mais qu’un instant suffit à renverser, il fallait dominer un peuple affamé de pain, et une faction affamée de pouvoir : le premier puissant par le nombre, la seconde puissante par l’attrait de ses doctrines, promesses dont le vague indéfini ne donnait pas de prise à la discussion dans les esprits peu éclairés, mais dont le mirage séduisant était une force d’autant plus redoutable qu’il répondait à un besoin du moment.

Arrêter l’effusion du sang, sauver la majesté de la Représentation, braver les sabres levés, fonder un gouvernement qui fût peuple par la générosité et par l’enthousiasme, sauveur par l’ordre et puissant par l’énergie : telle était l’œuvre qu’il fallait accomplir en quelques heures. Tout cela fut fait, sans un soldat, sans une violence, et sans qu’une goutte de sang fût versée pour ou contre cette autorité.

Nous n’avons point à raconter les trois journées ; l’esprit