Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/389

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Chez Bécassin… un petit dîner en l’honneur de la duchesse ! — lança-t-elle, avant même que lord Hubert eût le temps de cesser la pression.


Le sentiment qu’avait Selden du privilège qu’on lui conférait en l’admettant dans une telle société l’amena tôt dans la soirée à la porte du restaurant : il s’arrêta pour scruter les rangs des dîneurs qui venaient par la terrasse brillamment éclairée. Là, tandis que les Bry oscillaient à l’intérieur entre les dernières et troublantes alternatives du menu, il guetta les hôtes de la Sabrina, qui surgirent enfin à l’horizon, avec la duchesse, lord et lady Skiddaw et les Stepney. Il n’eut pas de peine à détacher miss Bart de ce groupe, sous le prétexte de regarder un instant une des étincelantes boutiques, et il lui dit, tandis qu’ils s’attardaient tous deux devant l’éblouissante vitrine d’un joaillier :

— Je suis resté pour vous voir, pour vous supplier de quitter le yacht.

Les yeux qu’elle tourna vers lui montrèrent une lueur de cette crainte qu’il avait déjà remarquée :

— Quitter ?… Que voulez-vous dire ?… Qu’est-il arrivé ?

— Rien. Mais, s’il arrivait quelque chose, pourquoi y être mêlée ?

L’éclat de la vitrine creusait la pâleur de son visage, donnait à ses lignes délicates l’âpreté d’un masque tragique.

— Il n’arrivera rien, j’en suis sûre ; mais, tant qu’il reste même un doute, comment pouvez-vous penser que je quitterai Bertha ?

Le ton était quelque peu méprisant : était-il possible que ce fût lui qu’elle méprisât ? Eh bien, il était prêt à en courir le risque une seconde fois, et il insista, avec une indéniable palpitation, qui témoignait d’un intérêt croissant :

— N’oubliez pas que vous avez vous-même à qui vous devez penser.

Elle répondit, en le regardant dans les yeux, et d’une voix étrangement triste :

— Si vous saviez comme cela m’est égal !…

— Allons, il n’arrivera rien ! — dit-il, plus pour se rassurer lui-même que pour elle.