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Mrs. Dorset eut un sourire de reproche :

— Vous morigéner, moi ?… Dieu m’en garde ! J’essayais seulement de vous donner un avis amical… Mais c’est généralement le contraire, n’est-ce pas ? C’est moi qui dois recevoir les conseils, et non les donner : j’ai positivement vécu de conseils, tous ces derniers mois.

— Des conseils ?… — répéta Lily ; moi, je vous ai donné des conseils ?

— Oh ! tout négatifs : ce qu’il ne faut pas être, ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’il ne faut pas voir… Il me semble que je les ai pris à ravir. Seulement, ma chère, permettez-moi de vous le dire, je n’avais pas compris qu’il entrât dans mes devoirs négatifs de ne pas vous avertir quand vous poussez l’imprudence trop loin.

Un frisson de peur parcourut miss Bart : une sensation de trahison qui fut comme la lueur d’un couteau dans l’obscurité. Mais la compassion l’emporta rapidement sur son recul instinctif. Qu’était-ce que ce flot d’amertume insensée, sinon l’effort de la créature traquée pour obscurcir les eaux où elle fuit ? Lily fut sur le point de s’écrier : « Pauvre âme, ne cherchez pas de détour… Revenez droit à moi, et nous trouverons une issue !… »

Mais les mots expirèrent sur ses lèvres devant l’impénétrable insolence du sourire que lui opposait Bertha. Lily se tut, et supporta tranquillement le choc, laissant s’épandre jusqu’à la dernière goutte de cette fausseté accumulée ; puis, sans un mot, elle se leva et descendit à sa cabine.

XVIII


Le télégramme de miss Bart toucha Lawrence Selden à la porte de son hôtel ; et, l’ayant lu, il remonta pour attendre Dorset. Le message, naturellement, laissait place aux conjectures ; mais tout ce que Selden avait entendu et vu dernièrement ne rendait les vides que trop faciles à remplir. Somme toute, il était surpris : il avait bien reconnu dans la situation tous les éléments d’une explosion, mais son expérience personnelle lui avait appris que souvent de pareilles combinaisons