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C’est très mauvais pour lui d’être tourmenté, et, toutes les fois qu’il arrive quelque chose d’un peu bouleversant, il a toujours un accès.

Cette fois, l’invite était formelle, mais faite avec une soudaineté si foudroyante, et avec un air si incroyable d’en ignorer les suites, que Lily ne put que balbutier avec un air de doute :

— Quelque chose d’un peu bouleversant ?

— Oui, comme de vous avoir si visiblement sur les bras, cette nuit… Vous savez, ma chère, c’est une responsabilité plutôt lourde, dans un endroit à scandales comme celui-ci, à minuit passé.

À cette attaque, si parfaitement inattendue et d’une si inconcevable audace, Lily ne put refuser le tribut d’un rire étonné :

— Vraiment, ma chère… étant donné que c’est vous qui la lui avez imposée, cette responsabilité !…

Mrs. Dorset subit la riposte avec une douceur exquise :

— En n’ayant pas la surhumaine intelligence de vous découvrir dans la terrible cohue qui se précipitait au train ?… ou peut-être assez d’imagination pour croire que vous partiriez sans nous… tous les deux, tout seuls… au lieu d’attendre tranquillement, dans la gare, que nous fussions parvenus à vous retrouver ?

Le rouge monta aux joues de Lily : il devenait évident pour elle que Bertha poursuivait un but, se conformait à un plan qu’elle s’était tracé. Seulement, sous la menace d’un sort pareil, pourquoi perdre du temps à des efforts enfantins pour l’éviter ? La puérilité de la tentative désarma l’indignation de Lily : cela ne prouvait-il pas à quel point la pauvre créature était effrayée ?

— Nous n’avions qu’à rester tous ensemble à Nice, — répliqua-t-elle.

— À rester ensemble ?… Quand c’est vous qui avez saisi la première occasion de filer avec la duchesse et ses amis !… Ma chère Lily, vous n’êtes pas une enfant qu’on doit tenir par la main !

— Non… ni morigéner non plus, Bertha… Et c’est ce que vous êtes en train de faire, en ce moment.