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Elle tenait ferme jusqu’au bout ; mais, comme elle se retournait après avoir échangé par-dessus bord les signes d’adieu, Lily se dit que le masque allait choir et l’effroi de son âme apparaître.

Mrs. Dorset se retourna lentement : peut-être, avait-elle besoin de temps pour raffermir ses muscles. En tout cas, elle en était parfaitement maîtresse quand, se laissant retomber dans son fauteuil, derrière la table à thé, elle dit à miss Bart, avec une légère nuance d’ironie :

— Je crois que je devrais vous dire bonjour.

Si c’était une invite, Lily ne demandait pas mieux que d’y répondre, mais elle n’avait que l’idée la plus vague de ce qu’on attendait d’elle en retour. Il y avait quelque chose d’énervant pour le spectateur dans le sang-froid de Mrs. Dorset, et Lily dut se forcer pour donner la réplique sur un ton léger :

— J’ai essayé de vous voir ce matin, mais vous n’étiez pas encore levée.

— Non : je me suis couchée tard. Après vous avoir manqués à la gare, j’ai pensé que notre devoir était de vous attendre jusqu’au dernier train.

Elle parlait avec beaucoup de douceur, mais avec une légère nuance de reproche.

— Vous nous avez manqués ?… Vous nous avez attendus à la gare ?… (Lily était maintenant trop effarée, trop dévoyée, pour mesurer la portée des paroles de Bertha ou veiller sur son propre langage)… Mais je croyais que vous n’étiez arrivés à la gare qu’après le départ du dernier train ?

Mrs. Dorset, qui l’examinait entre ses paupières baissées, répondit aussitôt par cette question :

— Qui vous a dit cela ?

— George… Je viens de le voir dans les jardins.

— Ah ! c’est la version de George ?… Pauvre George !… il n’était pas en état de se rappeler ce que je lui ai dit… Il a eu de ses pires accès, ce matin, et je l’ai expédié chez le docteur. Savez-vous s’il l’a trouvé ?

Lily, toujours perdue dans ses conjectures, ne souffla pas mot, et Mrs. Dorset s’installa avec nonchalance dans son fauteuil.

— Il attendra pour le voir : il était très inquiet de lui-même…