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d’elle. Mais, dans la crise actuelle, justement, tout le poids du malheur semblait retomber sur Bertha, puisque lui, du moins, avait elle pour qui souffrir, tandis qu’elle n’avait qu’elle-même. En tout cas, à un point de vue moins idéal, tous les désavantages de la situation étaient pour la femme : aussi est-ce à Bertha que toutes les sympathies de Lily allaient en ce moment. Elle n’aimait pas Bertha Dorset ; mais elle n’était pas sans se sentir quelque peu son obligée, et l’obligation lui pesait d’autant plus qu’il y avait si peu d’affection personnelle pour la soutenir. Bertha avait été bonne pour elle, elles avaient vécu d’une vie commune dans ces derniers mois, sur un pied d’intimité facile, et la blessure d’amour-propre que Lily avait sentie récemment lui semblait rendre encore plus urgente la nécessité de travailler sans arrière-pensée dans l’intérêt de son amie.

C’était certainement dans l’intérêt de Bertha qu’elle avait envoyé Dorset consulter Lawrence Selden. Une fois admis le grotesque de la situation, elle avait vu en un clin d’œil que Dorset ne pouvait mieux faire. Qui, sinon Selden, pourrait combiner miraculeusement l’adresse nécessaire à sauver Bertha avec l’obligation d’y parvenir ? Lily voyait clairement que le cas réclamait beaucoup d’adresse : aussi se fiait-elle avec reconnaissance à la grandeur de l’obligation. Du moment que Selden était tenu de sauver Bertha, elle pouvait s’en remettre à lui d’en découvrir le moyen ; et elle plaça toute sa confiance dans le télégramme qu’elle avait pris soin de lui envoyer en se rendant au quai.

Jusqu’à présent, Lily sentait donc qu’elle avait bien agi ; et cette conviction la fortifia pour la tâche qui lui demeurait à remplir. Elle et Bertha n’avaient jamais été l’une pour l’autre des confidentes, mais, dans une pareille crise, les barrières de la réserve tomberaient nécessairement : les sauvages allusions de Dorset à la scène du matin donnaient à Lily le sentiment que ces barrières étaient déjà tombées, et que toute tentative pour les relever dépasserait les forces de Bertha. Elle se figurait la pauvre créature tremblant derrière ses défenses abattues, et attendant avec anxiété le moment où elle pourrait se réfugier dans le premier abri qui s’offrirait. Pourvu seulement que cet abri ne se fût pas offert déjà, d’un autre côté ! Pendant le court trajet en canot entre le quai et le yacht, Lily s’alarma