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— Parbleu, Selden est à Nice : je ferai venir Selden !

Lily, à ces mots, se rassit, avec un cri d’alarme :

— Non, non, non ! — protesta-t-elle.

Il se retourna vers elle, d’un air défiant.

— Pourquoi pas Selden ? Il est avocat, n’est-ce pas ? Un avocat fera aussi bien qu’un autre, dans le cas présent.

— Aussi mal qu’un autre, vous voulez dire !… Je croyais que vous vous en remettiez à moi de vous aider.

— C’est ce que vous faites, en étant si douce et si patiente avec moi… Si ce n’avait été pour vous, il y a longtemps que j’en aurais fini avec tout cela. Mais, à présent, c’est bien la fin. (Il se leva brusquement, et se raffermit d’un effort.) Vous ne voudriez pourtant pas me voir ridicule !

Elle le regarda avec bonté :

— C’est justement pour cela !…

Puis, après un moment de réflexion, presque à sa propre surprise, elle s’écria, dans un éclair d’inspiration :

— Eh bien, soit ! allez voir M. Selden… Vous avez le temps avant le dîner.

— Oh ! le dîner !… — ricana-t-il.

Mais elle le quitta en répliquant avec un sourire :

— Oui, le dîner à bord ! n’oubliez pas… nous le retarderons jusqu’à neuf heures, si vous voulez.

Il était déjà plus de quatre heures ; un fiacre la déposa sur le quai, et, tout en attendant que le canot vînt la prendre, elle commença à se demander ce qui avait bien pu se passer sur le yacht. Où était Silverton ? Dorset n’en avait rien dit. Le jeune homme était-il retourné sur la Sabrina ? ou se pouvait-il, que Bertha, — cette terrible alternative frappa soudain Lily, — que Bertha, laissée à elle-même, fût allée le rejoindre à terre ?…

Le cœur de Lily cessa de battre, à cette hypothèse. Tout son intérêt, jusque-là, était allé au jeune Silverton, non seulement parce que, dans des affaires de ce genre, la femme se range instinctivement du côté de l’homme, mais parce que son cas, à lui, la touchait tout particulièrement. Il était si éperdument sincère, le pauvre enfant, et sa sincérité était d’une qualité si différente de celle de Bertha, bien que celle de Bertha, elle aussi, fût éperdue à sa façon. La différence était que Bertha ne s’inquiétait jamais que d’elle-même, tandis que lui s’inquiétait