Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mrs. Bry. Une avance affable, — un vague murmure sur la nécessité de se voir plus souvent, — une allusion à un avenir prochain, où se trouvait comprise la duchesse aussi bien que la Sabrina, — comme tout cela était facile, pour peu qu’on eût le chic !… Lily se demandait, et ce n’était pas la première fois, pourquoi, ayant ce chic, elle n’en usait pas plus constamment. Mais parfois elle était oublieuse… et parfois, se pouvait-il qu’elle fût trop fière ? Aujourd’hui, en tout cas, elle avait senti vaguement une raison de mettre bas sa fierté ; elle s’était même humiliée au point de suggérer à lord Hubert Dacey, qu’elle croisa sur les marches du Casino, qu’il décidât la duchesse à dîner avec les Bry, si elle, de son côté, s’engageait à les faire inviter sur la Sabrina. Lord Hubert avait promis son concours, avec l’empressement sur lequel elle pouvait toujours compter : c’était le seul moyen qu’il eût de lui rappeler toujours qu’il avait été prêt jadis à faire bien plus pour elle. Bref, la route semblait s’aplanir à mesure qu’elle avançait ; et pourtant une légère inquiétude persistait chez elle. Était-ce — elle se le demanda — le hasard de sa rencontre avec Selden ? Non : le temps et certains changements semblaient l’avoir si complètement relégué, lui, à la distance convenable ! La subite et exquise réaction qui avait suivi ses angoisses, à elle, avait eu pour effet de rejeter si loin en arrière le passé le plus récent ! Selden lui-même, qui en faisait partie, en prenait un air d’irréalité… Et il lui avait si bien fait comprendre qu’ils ne devaient plus se rencontrer ; qu’il avait simplement poussé une pointe à Nice, pour un jour ou deux, qu’il avait presque le pied sur le prochain paquebot !… Non, ce fragment du passé n’avait émergé que pour une minute à la surface mouvante des événements ; — et, maintenant qu’il était de nouveau englouti, l’incertitude, l’appréhension persistaient…

Elles devinrent soudainement aiguës, à la vue de George Dorset qui descendait les marches de l’Hôtel de Paris et se dirigeait vers Lily à travers la place. Elle comptait regagner le quai en voiture et retourner au yacht ; mais elle eut aussitôt l’intuition que quelque chose d’autre allait se passer d’abord.

— Par où allez-vous ? Voulez-vous que nous marchions un peu ? — commença-t-il, posant la seconde question avant qu’elle eût répondu à la première.