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desquels elle se mouvait, et elle avait écouté Ned Silverton lire Théocrite au clair de lune, tandis que le yacht contournait les promontoires siciliens, avec un frisson nerveux qui raffermit sa foi dans sa supériorité intellectuelle. Mais les semaines passées à Cannes et à Nice lui avaient réellement donné plus de plaisir. La satisfaction d’être bien accueillie dans la haute société, et d’y faire sentir son ascendant, — si bien qu’elle se trouva figurer une fois de plus comme « la Belle miss Bart » dans l’intéressant journal consacré à rapporter les moindres gestes de cette compagnie cosmopolite, — tout cela tendait à rejeter dans l’extrême arrière-fond de sa mémoire les prosaïques et viles difficultés d’où elle s’était évadée.

Si elle avait une vague notion de difficultés nouvelles qui l’attendaient, elle était sûre de son aptitude à y faire face. C’était chez elle un trait de caractère : elle sentait que les seuls problèmes qu’elle ne pouvait pas résoudre étaient ceux avec lesquels elle était familière. En attendant, elle pouvait être vraiment fière de l’habileté avec laquelle elle s’était adaptée à des conditions quelque peu délicates. Elle avait des raisons de croire qu’elle s’était rendue également indispensable à son hôte et à son hôtesse ; et si seulement elle avait entrevu quelque moyen parfaitement irréprochable de tirer un profit pécuniaire de la situation, il n’y aurait eu aucun nuage à son horizon. La vérité était que ses fonds, comme d’habitude, se trouvaient déplorablement bas, et ce n’était ni à Dorset ni à sa femme qu’elle pouvait sans danger faire soupçonner ce tracas vulgaire. Mais enfin le besoin n’était pas urgent : elle pouvait traîner encore, comme elle l’avait déjà fait si souvent, avec l’espoir réconfortant de quelque heureux changement de fortune ; et, pour le moment, la vie était riante, belle et facile, et elle était assurée que sa personne n’était pas déplacée dans un pareil décor.

Elle était invitée à déjeuner, ce matin-là, par la duchesse de Beltshire, et, à midi, elle demanda qu’on la conduisît à terre dans le canot. Auparavant, elle avait envoyé sa femme de chambre s’informer si Mrs. Dorset était visible ; mais on lui répondit que Mrs. Dorset était fatiguée et essayait de dormir. Lily crut deviner la raison de ce refus : son hôtesse n’avait pas été comprise dans l’invitation de la duchesse, quoique Lily elle-même