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n’avait pas encore paru, et que ces messieurs étaient allés à terre, chacun de son côté, aussitôt après le petit déjeuner. Ainsi renseignée, Lily s’accouda, un instant, sur le plat-bord, pour s’abandonner à la jouissance oisive du spectacle déployé devant elle. D’un ciel immaculé, le soleil baignait la mer et le rivage de son rayonnement le plus pur. Les flots empourprés mettaient une frange d’écume, nette et blanche, tout le long de la côte ; sur ses hauteurs inégales, hôtels et villas jaillissaient de la verdure grisâtre des oliviers et des eucalyptus ; et, tout au fond, les montagnes nues, finement dessinées, vibraient dans le pâle éclat de la lumière.

Comme tout cela était beau !… et comme elle aimait la beauté !… Elle avait toujours éprouvé que cette sensibilité-là compensait chez elle une certaine atonie de sentiment, dont elle était moins fière ; et, durant les trois derniers mois, elle s’y était livrée passionnément. L’invitation des Dorset à les accompagner en Europe était arrivée comme pour la libérer miraculeusement de difficultés accablantes ; et, grâce à la faculté qu’elle possédait de se renouveler dans de nouveaux décors, et d’oublier les cas de conscience aussi facilement que les milieux où le problème s’était posé, le simple changement de lieu lui semblait, non pas seulement un ajournement, mais bien une solution de ses ennuis. Les complications morales n’existaient pour elle que là même où elles s’étaient produites ; Lily n’avait pas l’intention de les négliger ou de les ignorer, mais ces complications perdaient leur réalité du moment que, par derrière, le fond changeait. Lily n’aurait pas pu demeurer à New-York sans rendre à Trenor l’argent qu’elle lui devait ; pour s’acquitter de cette dette odieuse, elle aurait été jusqu’à envisager un mariage avec Rosedale ; mais le fait accidentel d’avoir mis l’Atlantique entre elle et ses obligations avait suffi pour les faire diminuer jusqu’à perte de vue, comme des bornes milliaires qu’elle aurait dépassées en voyageant.

Les deux mois passés à bord de la Sabrina étaient merveilleusement calculés pour aider à cette illusion de distance. Elle avait plongé parmi des spectacles nouveaux, qui avaient réveillé ses espérances et ses ambitions anciennes. La croisière elle-même l’avait charmée comme une aventure romanesque. Elle était vaguement émue par les noms et les décors au milieu